Un fort réchauffement stratosphérique soudain a provoqué, depuis le 9 mars, une inversion du vortex polaire arctique. Ce phénomène rare a modifié le sens de rotation des vents stratosphériques, désormais orientés d’est en ouest, à rebours de leur direction habituelle. Par ailleurs, le centre de ce vortex s’est déplacé, se positionnant actuellement au-dessus de l’Europe du Nord. Selon les experts, cette configuration pourrait induire, dans les semaines à venir, des températures inférieures aux normales saisonnières sur certaines portions du continent.
Le vortex polaire arctique désigne un vaste tourbillon de vents très froids qui s’installe chaque hiver autour du pôle Nord. Bien qu’il soit présent toute l’année, il s’intensifie durant la saison froide en raison de l’inclinaison de l’axe terrestre et de la redistribution de la chaleur en provenance des tropiques. Lorsque l’hémisphère Nord bascule dans l’hiver, le pôle Nord reçoit peu ou pas de lumière solaire, et la stratosphère — entre 10 et 50 kilomètres d’altitude — y devient nettement plus froide que dans les zones tropicales.
En vertu des lois de la physique, la chaleur tend à migrer des régions les plus chaudes vers les plus froides. L’air tropical devrait ainsi naturellement se diriger vers les pôles. Toutefois, la rotation de la Terre infléchit cette trajectoire vers la droite dans l’hémisphère Nord, induisant une circulation des vents d’ouest en est dans la stratosphère polaire — un phénomène amplifié à mesure que l’on se rapproche des pôles.
Avec le retour du printemps et l’augmentation de l’ensoleillement au pôle Nord, ce schéma s’inverse. Le vortex polaire arctique inverse alors sa circulation, conséquence des changements thermiques en altitude. Ce basculement s’explique notamment par le refroidissement progressif de la stratosphère tropicale, phénomène qui coïncide — sans être directement causé — avec l’installation de l’hiver austral. Cette inversion s’accompagne d’un affaiblissement progressif des vents en raison du rééquilibrage thermique entre tropiques et régions polaires.
Il arrive cependant que ce basculement survienne brutalement et plus tôt que prévu, en général autour de la mi-avril. Or, cette année, le vortex polaire s’est à la fois déplacé vers l’Europe du Nord et inversé de manière anticipée. Cette transformation résulte d’un réchauffement stratosphérique soudain : un phénomène au cours duquel l’air en altitude au-dessus du pôle peut, de façon exceptionnelle, devenir plus chaud que celui des tropiques.
« Les vents stratosphériques à 60° de latitude nord sont désormais orientés d’est en ouest, signalant une forte perturbation du vortex polaire », indiquent les scientifiques de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) dans un article de blog. « Cela ne signifie pas pour autant que le vortex a disparu. L’animation [voir lien en fin d’article] montre qu’il s’est éloigné du pôle, serpentant désormais au-dessus de l’Europe du Nord. »
Une inversion plus précoce que la normale
Ces réchauffements stratosphériques soudains, pouvant fortement modifier la dynamique du vortex, sont provoqués par des ondes atmosphériques de grande envergure, appelées ondes de Rossby. Issues des basses couches de l’atmosphère, elles remontent vers la stratosphère, y provoquant des élévations de température aussi soudaines que notables. Lorsqu’elles atteignent le sommet du vortex, elles peuvent en affaiblir ou inverser la circulation.
Si une telle perturbation intervient avant le retour du Soleil au pôle Nord (en janvier ou février), la stratosphère y reste froide, et le vortex retrouve généralement sa structure initiale. En revanche, si elle survient après la réapparition du rayonnement solaire (en mars), la stratosphère polaire se réchauffe durablement et le différentiel thermique avec les tropiques s’atténue. C’est alors un réchauffement dit « final » qui s’installe, persistant jusqu’à l’automne. Ce type de réchauffement se produit chaque année, même sans perturbation du vortex, à mesure que la lumière revient sur l’hémisphère nord.
L’an dernier, un épisode similaire s’était produit le 4 mars. Mais le vortex avait réussi à se reconstituer, et le réchauffement final n’était intervenu que le 28 avril. Cette année, en revanche, le vortex semble incapable de se reconstituer. « Il peine manifestement à regagner sa position habituelle au-dessus du pôle Nord. Après une première chute des vents à 60°N, ceux-ci ont tenté deux fois de se redresser, sans succès », observe la NOAA. « Chaque tentative a été contrée par un regain d’activité, rendant les vents orientés vers l’est encore plus intenses », poursuit l’agence.
Un refroidissement à prévoir
D’après les dernières prévisions de la NOAA, un retour du vortex à sa position traditionnelle semble peu probable. « Les vents à 60°N devraient rester orientés vers l’est, et les vestiges du vortex polaire situés au-dessus de l’Europe du Nord devraient se dissiper. Ce réchauffement est donc vraisemblablement le dernier de la saison, et constitue le deuxième réchauffement final le plus précoce depuis 1958 », soulignent les experts.
Cette configuration devrait se traduire par des températures plus basses que la normale sur certaines régions de l’Europe du Nord, de l’Asie et de la façade est des États-Unis. « Durant la dernière semaine de mars, les températures étaient proches des normales dans l’est des États-Unis, mais les projections les plus récentes suggèrent une probabilité accrue de froid pour la semaine prochaine dans cette même région », précisent les autorités météorologiques.
Ce refroidissement est attribué à un phénomène connu sous le nom de « couplage stratosphère-troposphère », qui se manifeste par une augmentation simultanée de l’épaisseur de l’air dans les deux couches atmosphériques situées au-dessus du pôle. Cette surépaisseur se traduit en général par une élévation de la pression et de la température dans les hautes couches, perturbant le courant-jet, et augmentant ainsi les probabilités d’un refroidissement en surface.
Vidéo d’animation montrant le déplacement du vortex polaire Arctique :