De nouvelles recherches montrent qu’à mesure que notre planète se réchauffe, le jet-stream (ou courant-jet) de l’hémisphère nord migre progressivement vers l’Arctique, ce qui pourrait provoquer davantage de sécheresses et de vagues de chaleur dans le sud de l’Europe et dans l’est des États-Unis. Si les émissions de gaz à effet de serre se poursuivent, ce courant-jet sortira définitivement de sa zone « normale » d’ici 2060.
Les courants-jets sont des courants d’air rapides de plusieurs milliers de kilomètres de long, qui évoluent entre la troposphère et la stratosphère (entre 7 et 16 kilomètres d’altitude environ). Ils sont dus à la différence de température et de pression entre les masses d’air. Notre planète compte deux courants-jets dans chacun de ses hémisphères : un courant-jet polaire et un courant-jet subtropical (plus haut et plus faible), qui circulent d’ouest en est.
Du fait qu’ils marquent la limite entre deux masses d’air distinctes, ces courants jouent un rôle majeur dans la circulation atmosphérique. Le courant-jet polaire du nord sépare l’air froid de l’Arctique de l’air plus chaud du sud. Il circule à travers les États-Unis, au-dessus de l’Atlantique et en Europe, représentant entre 10% et 50% de la variance des précipitations annuelles et de la température dans ces régions. Mais il apparaît que ce courant se déplace peu à peu vers le nord à mesure que les températures mondiales augmentent.
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Sécheresse et chaleur au sud, inondations au nord
En creusant profondément dans la calotte glaciaire du Groenland, une équipe de chercheurs américains a reconstitué le passé tumultueux du courant-jet et a découvert que les perturbations causées par le climat sont susceptibles d’avoir des conséquences météorologiques drastiques pour les régions situées des deux côtés de l’Atlantique. « Le début de la migration du jet-stream vers le nord a peut-être déjà commencé », avertit Matthew Osman, chercheur au Climate Systems Center de l’Université de l’Arizona, qui a dirigé l’étude.
En effet, l’augmentation de la température de l’air tend à perturber cet équilibre air chaud/air froid, que le jet-stream peine aujourd’hui à maintenir. Il se trouve que l’Arctique se réchauffe en moyenne deux fois plus vite que le reste de la planète ; de ce fait, la masse d’air froid recule peu à peu vers le nord, ce qui décale d’autant la position du courant-jet. Les conséquences ? Les chercheurs évoquent des phénomènes météorologiques extrêmes dans l’hémisphère nord, tels que des sécheresses et des vagues de chaleur en Europe et aux États-Unis, ainsi que davantage de pluies et d’inondations dans les régions du nord de l’Europe et de la Scandinavie.
Grâce aux carottes de glace prélevées au Groenland, les chercheurs ont pu examiner ce qu’ils appellent les « trajectoires de tempêtes », des vents de moindre intensité qui appartiennent au courant-jet, mais qui évoluent plus près du sol et qui influent sur les températures et les précipitations au Groenland. En analysant les variations d’une année à l’autre de la quantité de neige archivée dans les carottes de glace, ainsi que la composition chimique des molécules d’eau composant ces couches de neige, les chercheurs ont pu extraire des indices sur la façon dont le courant-jet a changé au cours des derniers siècles. Il s’avère que certaines années, il pouvait être très au nord, pour se déplacer plus de 10 degrés plus au sud quelques années plus tard.
L’équipe explique dans un communiqué qu’elle a même pu faire correspondre certains événements historiques liés aux conditions météorologiques aux changements observés dans le courant-jet. Par exemple, lors d’une famine qui a frappé la péninsule ibérique en 1374, le courant-jet était situé exceptionnellement loin au nord. De même, deux événements de famine dans les îles britanniques et en Irlande en 1728 et 1740 ont coïncidé avec des années où les vents ont soufflé à près de la moitié de leur intensité habituelle, refroidissant considérablement les températures et réduisant les précipitations.
L’Europe particulièrement touchée par le phénomène
À l’aide de modèles climatiques, l’équipe a simulé le déplacement du courant au cours des quatre prochaines décennies dans le cas où les émissions de gaz à effet de serre se poursuivraient au rythme actuel. Les résultats ont montré que le mouvement actuel du jet-stream menace de surpasser toutes les variations qu’il a déjà présentées par le passé ; il pourrait migrer totalement en dehors de sa zone naturelle dès 2060. « En poussant le courant-jet en dehors de sa zone naturelle déjà étendue, nous pourrions nous exposer à des risques climatiques de plus en plus graves à l’avenir », souligne Osman.
Selon les auteurs de l’étude, l’Europe, située en aval du courant-jet de l’Atlantique Nord, devrait subir de plein fouet les conséquences du phénomène. Les régions semi-arides du sud de l’Europe pourraient notamment devenir plus arides. Les régions nordiques, qui affichent un climat plus humide et plus doux, comme la Scandinavie, pourraient devenir encore plus humides. Ces précipitations supplémentaires entraîneraient davantage d’inondations — similaires à celles qui ont frappé l’Allemagne et la Belgique au cours de l’été.
Le réchauffement climatique pourrait également impacter directement le courant-jet, qui deviendrait encore plus sinueux. En effet, les masses d’air chaud et d’air froid ne se déplacent pas toutes au même rythme (vers le nord et vers le sud respectivement), ce qui provoque de larges ondulations le long du courant. Or, une étude publiée le mois dernier dans Science, montre que la fonte de la glace de mer arctique pourrait augmenter l’intensité et la taille de ces ondulations ; en effet, lorsque la glace fond, davantage de chaleur et d’humidité se déplacent de la surface vers l’atmosphère.
Ces vagues soudaines d’air chaud déforment le courant-jet, et poussent de l’air froid vers le sud. Par conséquent, un courant-jet très sinueux favorise la formation de grosses tempêtes hivernales et de vagues d’air froid — telles que celle qui a frappé les États-Unis en janvier 2019, où on a relevé des températures allant jusqu’à -50°C !« Si l’ondulation du jet-stream augmente à l’avenir, cela pourrait impliquer que des événements extrêmes tels que le vortex polaire pourraient également devenir plus fréquents », insiste Osman.
« Nos résultats servent d’avertissement : bien que pousser le courant-jet au-delà de son aire de répartition naturelle soit problématique, sa trajectoire ultime est encore largement sous notre contrôle », conclut le climatologue.