Une société pharmaceutique britannique vient de signer un accord avec la Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI) et la Global Alliance for Vaccines and Immunization (GAVI), afin d’augmenter ses capacités d’approvisionnement : le laboratoire AstraZeneca s’est en effet engagé à produire en masse un vaccin – en cours de développement à l’Université d’Oxford – alors qu’il n’a pas encore été reconnu comme efficace. Une procédure très inhabituelle dans la conception d’un vaccin…
La CEPI et la GAVI, deux organisations à but non lucratif – dont l’un des plus grands organismes donateurs n’est autre que la fondation Bill & Melinda Gates – ont notamment contribué à accélérer la cadence de production via un don de 750 millions de dollars. La somme servira à soutenir la fabrication, l’approvisionnement et la distribution de 300 millions des 2 milliards de doses prévues. La livraison devrait commencer d’ici la fin de l’année.
Un vaccin dans les starting-blocks
Une production en masse alors que le vaccin n’a pas encore été officiellement validé… Voilà une démarche pour le moins surprenante, que Pascal Soriot, PDG d’AstraZeneca, justifie par l’urgence de la situation : « Nous commençons à fabriquer ce vaccin dès maintenant – et nous devons l’avoir prêt à être utilisé au moment où nous aurons les résultats […]. Nous voulons être aussi rapides que possible », a-t-il déclaré à la BBC. La société serait aujourd’hui en mesure de produire deux milliards de doses.
C’est donc un grand coup de poker que joue le laboratoire britannique, car si le vaccin s’avère inefficace, c’est tout autant de ressources – humaines, matérielles et financières – perdues. Richard Hatchett, directeur général de la CEPI, a admis qu’il y avait un « risque substantiel » à investir dans la fabrication d’un produit qui ne sera peut-être jamais livré.
Mais AstraZeneca a déclaré qu’elle n’était pas motivée par le profit et que c’était le seul moyen d’obtenir un vaccin à temps… « Nous travaillons sans relâche pour honorer notre engagement d’assurer un accès large et équitable au vaccin d’Oxford à travers le monde et sans but lucratif », affirme Pascal Soriot. Le laboratoire s’efforce en effet de fournir un accès mondial et équitable au vaccin, en mettant en place plusieurs chaînes d’approvisionnement à travers le monde de manière à pouvoir assurer une fabrication en masse.
Par ailleurs, AstraZeneca relate dans un communiqué officiel qu’il a également conclu un accord de licence avec le Serum Institute of India (SII), le plus grand fabricant mondial de vaccins en matière de volume. Ceci dans le but de venir en aide aux pays à revenu faible ou intermédiaire : un milliard de doses de vaccin produites par le géant indien leur seront destinées. L’accord précise que plus du tiers (400 millions) seront même disponibles d’ici la fin de l’année.
Une collaboration internationale pour garantir un accès à tous
Le vaccin en question, baptisé AZD1222, a été développé par l’Institut Jenner de l’Université d’Oxford, en collaboration avec des chercheurs de l’Oxford Vaccine Group. Il a été formulé à partir d’une version affaiblie d’un autre coronavirus commun (un adénovirus du rhume) affectant le chimpanzé ; ce coronavirus a été génétiquement modifié de façon à ce qu’il exprime la protéine de pointe, caractéristique du SARS-CoV-2. Une fois le vaccin injecté, la réponse immunitaire se fera par reconnaissance de cette protéine.
Environ 10’000 volontaires testent actuellement les versions de phase II/III du vaccin au Royaume-Uni, selon le communiqué d’AstraZeneca. D’autres essais à un stade avancé devraient commencer dans un certain nombre de pays, notamment au Brésil, où l’épidémie bat son plein. Si les essais cliniques sont concluants, les premières doses pourraient être disponibles dès le mois de septembre. Selon la BBC, 300 millions de doses de ce vaccin potentiel sont destinées aux États-Unis et 100 millions iront au Royaume-Uni. Parallèlement, la société teste plusieurs médicaments, existants ou récemment développés, pour traiter les patients atteints du COVID-19.
L’accord avec la CEPI et la GAVI marque également un premier vrai engagement du marché réalisé grâce à l’initiative ACT Accelerator, lancée par l’Organisation mondiale de la santé et ses partenaires. Cette initiative vise à mettre en place une collaboration mondiale pour accélérer le développement, la production et l’accès équitable aux nouveaux diagnostics, thérapies et vaccins permettant de lutter contre le COVID-19. Le but étant de faire bénéficier à tous des progrès réalisés, y compris aux pays à revenu faible : « Notre engagement commun est de garantir à tous l’accès à tous les outils pour vaincre le COVID-19 », souligne le Docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, Directeur général de l’OMS.
Dans ce cadre, l’OMS s’est associée à plusieurs partenaires, issus notamment du secteur privé, scientifique et humanitaire. L’ACT Accelerator compte ainsi parmi ses membres, entre autres, la fondation Bill & Melinda Gates, le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, la GAVI et l’Organisation internationale d’achats de médicaments (UNITAID). Seul le partage des ressources et des expertises de chacun permettra en effet d’obtenir des résultats rapides. Une collaboration à grande échelle dont se réjouit Pascal Soriot : « Je suis profondément reconnaissant de l’engagement de chacun envers cette cause et de son travail pour rassembler tout cela en si peu de temps ».
Selon un article de The Lancet, une dizaine de vaccins contre le SARS-CoV-2 sont en cours d’essais cliniques, dont celui d’AstraZeneca. Si ce dernier semble avoir une petite longueur d’avance, en étant le premier à entamer des essais de phase III, d’autres laboratoires le talonnent (Moderna, CanSino Biologics, etc.), parfois en utilisant une autre approche. À savoir toutefois que ni les approches basées sur les nucléotides (le choix de Moderna) ni celles basées sur les adénovirus n’ont déjà abouti à un vaccin qui a été approuvé aux États-Unis ou dans l’UE auparavant.
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D’après The Lancet, l’OMS aurait répertorié plus d’une centaine de vaccins candidats en développement préclinique. Les experts espèrent qu’un maximum de formules aboutira à un vaccin efficace, notamment pour pallier les difficultés inhérentes à une fabrication de masse. Mais Adrian Hill, vaccinologue à l’Université d’Oxford et membre de l’équipe développant AZD1222, rappelle que toutes les formules ne fonctionneront pas… Le taux de réussite généralement observé dans le développement d’un vaccin est de 6%.