Des chercheurs irlandais montrent dans une nouvelle étude que nous sommes plus ou moins vulnérables aux infections et aux blessures diverses, selon l’heure de la journée et le moment de l’année. Notre taux de globules blancs serait en effet très fluctuant. Une meilleure compréhension des horloges corporelles pourrait ainsi avoir des implications dans le traitement et la prévention de la COVID-19, mais aussi d’autres maladies.
Les processus biologiques qui ont lieu dans notre organisme sont orchestrés selon divers rythmes biologiques ; c’est le cas également chez les animaux et les plantes. Lorsqu’un cycle complet est effectué sur une journée, on parle de « rythme circadien ». Par exemple, notre température corporelle, notre métabolisme cellulaire, notre taux de cortisol, notre vigilance, entre autres mécanismes biologiques, évoluent ainsi selon un rythme circadien.
Des scientifiques apportent aujourd’hui la preuve que notre système immunitaire évolue lui aussi au cours du temps ; selon l’heure de la journée et la saison, notre taux de globules blancs s’avère plus ou moins élevé. Ce constat pourrait expliquer notamment pourquoi certaines maladies (grippe, gastro-entérite, etc.) sévissent davantage en hiver, tandis que les symptômes d’autres maladies, comme la sclérose en plaques, tendent à s’aggraver durant l’été.
Des études antérieures datant de 2013 avaient déjà mis en évidence le lien existant entre les rythmes circadiens et saisonniers et la fonction immunitaire ; néanmoins, cette influence n’avait jusqu’à présent jamais été confirmée sur un grand nombre de personnes. « Depuis des siècles, les gens sont plus sensibles à certaines maladies en hiver, mais nous ne comprenions pas vraiment le rôle de notre corps à cet égard », souligne le Dr Cathy Wyse, chercheuse postdoctorale au Royal College of Surgeons de Dublin, qui a dirigé cette nouvelle étude.
Un taux de globules blancs plus élevé le matin
Pour étudier les fluctuations du système immunitaire, les chercheurs ont examiné le sang prélevé sur plus de 329’000 individus, faisant partie de l’enquête britannique Biobank — une étude à large échelle qui a suivi la santé d’environ un demi-million de citoyens anglais pendant plus de dix ans. L’équipe de Wyse a notamment vérifié si l’heure de la journée ou la saison à laquelle ces échantillons avaient été collectés entraînait une quelconque incidence sur les cellules immunitaires contenues dans le sang.
Or, ils ont pu constater que le nombre de globules blancs et de marqueurs d’inflammation (protéine C-réactive) variait très nettement en fonction du temps (les échantillons de sang ont été prélevés entre 8h et 19h). Les scientifiques en ont conclu que nos défenses immunitaires pourraient être plus ou moins efficaces selon l’heure de la journée ou la saison. « Cela soutient l’idée qu’il pourrait y avoir des horloges et des calendriers endogènes dans le système immunitaire », explique Wyse.
L’équipe précise que ces variations quotidiennes n’étaient pas liées à des facteurs environnementaux, ni au mode de vie ou au niveau de vitamine D des participants ; ces paramètres sont effectivement connus pour impacter eux aussi le système immunitaire. Une fois ces facteurs écartés, l’explication tient nécessairement à notre horloge biologique : « De tels changements dans notre système immunitaire sont dus à nos horloges corporelles, les mécanismes innés qui nous permettent de suivre le temps », confirme le Dr Rachel Edgar, de l’Imperial College de Londres, qui étudie comment les virus peuvent exploiter les rythmes circadiens pour favoriser leur propagation.
Il se trouve que cette spécialiste avait elle-même observé un phénomène similaire, dans le cadre d’expérimentations sur des souris : les globules blancs se rassemblaient dans les ganglions lymphatiques au début de leur période d’activité, puis se déplaçaient progressivement dans le sang à mesure que les animaux évoluaient vers leur phase de repos. Pour Edgar, ce processus serait la clé de notre réponse immunitaire aux vaccins et aux virus tels que le SARS-CoV-2. Elle a pu constater que la réponse immunitaire des souris différait selon le moment de la journée où elles étaient confrontées au virus.
Un système immunitaire qui s’est adapté au risque
À ceci s’ajoutent des preuves du fait que le vaccin contre la grippe s’avère plus efficace lorsqu’il est administré le matin. Tous ces éléments réunis suggèrent que certains vaccins, y compris le vaccin à venir contre la COVID-19, peuvent être plus efficaces s’ils sont injectés tôt dans la journée. Cathy Wyse souligne toutefois que cette théorie n’a pas été testée et qu’il faut veiller à ne pas sur-interpréter les résultats ; en outre, son étude n’a pas encore été examinée par les pairs.
Dans tous les cas, cette fluctuation des capacités immunitaires n’est finalement pas si surprenante. Il est plutôt logique de s’attendre à ce que nos défenses soient à leur maximum au moment de la journée où nous sommes les plus susceptibles d’être actifs. Pour John O’Neill, du Laboratoire de biologie moléculaire du Medical Research Council à Cambridge, ceci est dû à notre évolution : « Le système immunitaire a évolué pour mieux reconnaître et combattre les agents pathogènes potentiels pendant la journée, parce que c’est à ce moment-là que les humains étaient les plus susceptibles de les rencontrer ».
Il y a trois ans, O’Neill avait d’ailleurs montré que les cellules impliquées dans la réparation des lésions tissulaires migraient vers les plaies plus rapidement en journée. Ces nouvelles recherches menées par Wyse et son équipe viennent ainsi corroborer l’importance fondamentale de la synchronisation biologique pour la santé humaine.
Cette relation pourrait même entraîner un changement radical de nos comportements, selon Tami Martino, directrice du Centre d’investigations cardiovasculaires de Guelph, au Canada, et spécialiste en physiologie circadienne du système cardiovasculaire. « Nous pouvons utiliser cette nouvelle compréhension du calendrier biologique pour guider nos comportements, en restreignant peut-être notre activité pendant la nuit ou en hiver, afin de minimiser notre exposition aux agents pathogènes aux moments où nous sommes les moins résilients », propose l’experte.