Le syndrome de Down, désigné aussi par trisomie 21, résulte d’une anomalie congénitale due à la présence d’un chromosome 21 supplémentaire. Ce syndrome a de lourdes conséquences. Outre un développement physique et mental retardé et des malformations au niveau du système cardiaque et du système digestif, les personnes porteuses de trisomie 21 sont également sujettes à des complications respiratoires. Le virus du SARS-CoV-2 représente ainsi une menace importante pour cette partie de la population.
Une étude menée par des chercheurs britanniques, parue au mois d’octobre dans la revue Annals of Internal Medicine, visait à évaluer le syndrome de Down en tant que facteur de risque de décès par COVID-19. L’étude impliquait les données (récoltées entre janvier et juin 2020) d’une cohorte de 8,26 millions d’adultes, dont 4053 étaient porteurs de trisomie 21 ; les résultats révèlent que ces derniers présentent un risque bien plus élevé de décéder de la COVID-19 : si elles sont infectées, elles sont 5 fois plus susceptibles d’être hospitalisées et 10 fois plus susceptibles d’en mourir que le reste de la population. Une vulnérabilité corroborée par plusieurs autres études récentes.
Le 2 décembre, la commission mixte britannique sur la vaccination et l’immunisation a recommandé d’accorder la priorité aux personnes atteintes du syndrome de Down pour une vaccination rapide. Mais il n’en est pas de même partout : plus de 200’000 Américains porteurs de trisomie 21 ne sont pas inclus dans la population qui bénéficiera d’une vaccination précoce. Et pour cause, les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) ne comptent pas ce syndrome dans la liste des conditions qui, selon eux, augmentent le risque de COVID-19 grave.
Un risque accru, surtout à partir de 40 ans
Le syndrome de Down est la cause génétique la plus fréquente de déficience intellectuelle, et entraîne des manifestations multi-organes. Pourquoi les personnes atteintes de ce syndrome sont-elles plus vulnérables face à la COVID-19 ? Les scientifiques soupçonnent des anomalies du système immunitaire, combinées à des copies supplémentaires de gènes clés (ces individus possèdent en effet trois copies du chromosome 21 au lieu de deux). Une étude parue dans l’European respiratory review rapporte par ailleurs que les personnes atteintes du syndrome de Down ont une fréquence accrue des infections des voies respiratoires et du syndrome de détresse respiratoire aiguë ; les maladies respiratoires sont d’ailleurs la cause la plus fréquente de décès chez cette partie de la population, quel que soit l’âge.
Pour Julia Hippisley-Cox, épidémiologiste clinique à la faculté de médecine de l’Université d’Oxford et auteure principale de l’étude britannique, il est urgent de mettre en place des mesures pour les protéger. L’étude qu’elle a menée avec son équipe a fait apparaître un risque incroyablement élevé pour les personnes porteuses de trisomie 21 (PPT21) de mourir de la COVID-19. Sur les 68 PPT21 décédées lors de la période étudiée, près de 40% des décès étaient dus à la COVID-19, 25% résultaient de pneumonie ou pneumopathie et 35% d’autres causes. Comparativement, parmi les autres personnes de la cohorte (sans syndrome de Down), 41’685 sont décédées sur la période, dont : 20,3% de COVID-19, 14,4% de pneumonie ou de pneumopathie et 65,3% d’autres causes.
Les chercheurs ont alors estimé les rapports de risque ajustés pour chaque groupe d’individus. Ils ont notamment tenu compte de l’âge, du sexe, de l’origine ethnique, de l’IMC, du diagnostic de démence, de la résidence en établissement de soins, des cardiopathies congénitales et d’une gamme d’autres affections et traitements comorbides. Résultat : pour les PPT21, le rapport de risque pour les décès liés à la COVID-19 était de 10,39 ; pour l’hospitalisation, il était de 4,94.
Une autre prépublication récente, qui repose sur les résultats d’une grande enquête internationale, a révélé par ailleurs que les PPT21 hospitalisées pour COVID-19 et âgées de 40 ans et plus constituaient la catégorie à plus haut risque, avec une mortalité de 51%, contre 7% pour les moins de 40 ans. « À 40 ans, les choses vont vraiment mal… [avec] un taux de mortalité comparable à celui des plus de 80 ans dans la population générale », commente la première auteure Anke Huels, biostatisticienne à la Rollins School of Public Health de l’Université Emory.
Des causes anatomiques, génétiques et immunitaires
Les experts pointent du doigt l’anatomie typique des PPT21 (grandes langues, petites mâchoires, amygdales et végétations adénoïdes relativement grandes, atonie de la gorge) pour expliquer leur prédisposition à développer des infections respiratoires. Bien entendu, le facteur génétique est lui aussi en ligne de mire : les PPT21 ont trois copies d’un gène sur le chromosome 21, le gène TMPRSS2, codant pour une enzyme que le coronavirus détourne pour mieux pénétrer dans les cellules humaines. Cette enzyme clive la protéine de pointe du virus, et s’ensuit une série d’étapes permettant au virus d’envahir la cellule hôte.
Or, les PPT21 expriment généralement 1,6 fois plus de TMPRSS2 que les personnes non porteuses, selon une analyse publiée en juin et menée par Mara Dierssen, biologiste des systèmes au Centre de régulation génomique de Barcelone. Les personnes atteintes du syndrome de Down pourraient donc être plus sensibles à l’infection en raison de la triplication du gène TMPRSS2, explique la spécialiste.
Enfin, la grande vulnérabilité des PPT21 s’explique également par des anomalies au niveau de leur système immunitaire : leurs cellules T ne se développent pas correctement, et leurs niveaux de cellules B dans le sang sont faibles. En revanche, les niveaux de protéines de signalisation induisant une inflammation sont élevés, ce qui provoque chez ces personnes un état d’inflammation chronique même en l’absence d’infection. « Les cellules des personnes atteintes du syndrome de Down luttent constamment contre une infection virale qui n’existe pas », explique Joaquin Espinosa, génomicien à l’Institut Linda Crnic de l’Université du Colorado. Cet expert a d’ailleurs montré que la production d’interférons — des protéines synthétisées par l’organisme en réponse à la présence d’un agent pathogène étranger — est constamment activée chez les PPT21.
Si une puissante production d’interférons peut s’avérer utile au début d’une infection de COVID-19 pour la plupart des gens, ce phénomène n’a pas l’effet protecteur escompté chez les PPT21. « La stimulation chronique de fond peut rendre les récepteurs de l’interféron insensibles à encore plus de stimulation », explique Louise Malle, docteur en médecine à l’hôpital Mont Sinaï de New York. « L’hyperactivité de l’interféron peut alimenter la tempête immunitaire qui peut rendre la COVID-19 fatale une semaine ou plus après l’apparition des symptômes », ajoute Andre Strydom, expert en neurobiologie du syndrome de Downau King’s College de Londres.
Si toutes les causes pouvant expliquer la grande vulnérabilité des PPT21 face au SARS-CoV-2 ne sont pas encore bien comprises, les experts s’accordent à dire que les différences immunitaires de ces personnes les placent véritablement dans une position désavantageuse. La Société internationale de recherche sur la trisomie 21 a depuis publié une déclaration appelant fermement les PPT21, en particulier celles de 40 ans et plus, à bénéficier d’une vaccination précoce.
Le Royaume-Uni a d’ores et déjà ajouté ces personnes à la liste des individus « cliniquement extrêmement vulnérables » qui devraient être protégés. Mais malgré les nouvelles études, un porte-parole du CDC a déclaré : « Pour le moment, il n’y a pas suffisamment de preuves pour déterminer si les adultes atteints du syndrome de Down courent un risque accru de maladie grave due à la COVID-19 ». Soulignons que dans le dernier communiqué de la Haute autorité de santé concernant la priorisation des populations à vacciner contre la COVID-19, la trisomie 21 est bel et bien mentionnée parmi les comorbidités identifiées comme à risque avéré d’hospitalisations ou de décès.