Le monde entier est actuellement en attente du vaccin qui nous permettra de retrouver enfin une vie normale. Mais la vie reprendra-t-elle réellement son cours, telle qu’elle était avant l’intrusion du SARS-CoV-2 ? « Pas vraiment », selon David Salisbury, ancien directeur de la vaccination au ministère britannique de la Santé.
La nouvelle est tombée ce week-end : le plus haut conseiller médical du Royaume-Uni, le professeur Jonathan Van-Tam, a déclaré aux députés qu’un vaccin contre la COVID-19 serait prêt à être déployé peu après Noël. Fruit d’un partenariat entre l’université d’Oxford et le laboratoire AstraZeneca, le vaccin candidat a en effet passé avec succès la troisième phase des essais cliniques.
La moitié des seniors et un tiers des adultes immunisés
Le gouvernement britannique a dès lors modifié la loi pour augmenter le nombre de professionnels de la santé autorisés à vacciner le public. Le nouveau règlement permettra aux pharmaciens, aux dentistes, aux sages-femmes et aux ambulanciers paramédicaux d’administrer des injections. En outre, des milliers d’employés du National Health Service (NHS) doivent suivre d’ici la fin de l’année une formation pour administrer un vaccin.
Enfin le bout du tunnel ? Dans le monde entier, les populations attendent avec impatience la mise sur le marché d’un vaccin efficace, espérant ainsi reprendre le cours normal de leur vie. Mais David Salisbury tient à rappeler que même si un vaccin devenait largement disponible, il faut rester réaliste : non, la vie ne sera pas « comme avant ».
Pour commencer, les vaccins protègent les individus contre la maladie, mais aucun vaccin n’est efficace à 100%. Pour savoir quelle proportion d’une communauté serait immunisée après un programme de vaccination à grande échelle, il faut multiplier la proportion d’une population vaccinée par l’efficacité du vaccin.
Considérons, à titre d’exemple, le vaccin contre la grippe. Le Royaume-Uni dispose actuellement de la couverture de vaccination la plus étendue au monde : 75% des plus de 65 ans sont vaccinés contre la grippe chaque année. Un taux rarement atteint par la plupart des autres pays, dont certains n’ont même aucun programme de vaccination similaire. Il est donc raisonnable de s’attendre à ce que ce même niveau de couverture soit atteint au Royaume-Uni avec le vaccin anti-COVID-19, pour ce groupe d’âge.
Ainsi, si l’on considère que ce vaccin est efficace à 75% — en d’autres termes, si 75% des personnes vaccinées sont bel et bien immunisées — alors seuls 56% (soit 75% de 75%) des personnes âgées seront protégées. Or, cette proportion ne suffirait pas à empêcher le virus de circuler. Près de la moitié du groupe d’individus présentant le risque le plus élevé resterait vulnérable ! Salisbury estime ainsi qu’un assouplissement des règles de distanciation sociale — qui pourrait être envisagé parallèlement au déploiement du vaccin — serait très risqué.
Quid des personnes de moins de 65 ans ? Au mieux, 50% de cette population est vaccinée contre la grippe. Cela signifie qu’un peu plus d’un tiers (37,5%) d’entre eux seraient effectivement protégés (toujours partant du principe que le vaccin est efficace à 75%). Mais en fin de compte, la situation pourrait être bien pire : des régulateurs tels que la Food and Drug Administration des États-Unis et l’Agence européenne des médicaments ont en effet déclaré qu’ils accepteraient un niveau d’efficacité de 50% pour les vaccins candidats anti-COVID-19. Dans ce cas, le calcul est différent : on tombe à 37,5% d’immunité chez les seniors, et 25% chez les moins de 65 ans.
L’importance d’un message clair
Salisbury fait remarquer qu’en plus de prodiguer une protection individuelle, un vaccin peut protéger toute une communauté en interrompant la transmission du virus. Ce fut d’ailleurs le cas à la fin des années 1990, lors de la campagne de vaccination contre la méningite C : le Royaume-Uni avait alors enregistré une baisse de 67% du nombre de cas chez les enfants et les jeunes non vaccinés, du fait qu’une part de la population (vaccinée) ne pouvait plus transmettre le virus.
Quel est donc le meilleur moyen de protéger la population contre la COVID-19 ? Il est évident que le niveau de protection (couverture vaccinale x efficacité) devra être élevé, et ce, pour toutes les tranches d’âges. Selon Salisbury, il serait inadéquat de ne vacciner que les groupes jugés à risque, comme beaucoup de gouvernements le prévoient. Le seul moyen d’enrayer la propagation du virus est de vacciner quiconque est susceptible de transmettre l’infection.
Pourtant, la plupart des objectifs annoncés tendent vers une protection individuelle et non vers l’interruption de la transmission. Kate Bingham, qui dirige le groupe de travail sur les vaccins au Royaume-Uni, a d’ores et déjà déclaré ce mois-ci que la vaccination contre la COVID-19 serait ciblée : « Nous avons juste besoin de vacciner toutes les personnes à risque. Il n’y aura pas de vaccination des personnes de moins de 18 ans ». Elle ajoute que le vaccin sera réservé aux personnes de plus de 50 ans, aux agents de santé, aux personnels de soins à domicile et aux personnes vulnérables. Malgré les millions de doses de vaccin prévues, moins de la moitié de la population britannique peut donc s’attendre à être vaccinée contre la maladie.
David Salisbury est donc très sceptique quant à la stratégie envisagée par le gouvernement britannique, qui selon lui, ne permettra en aucun cas un retour « à la normale ». Et même si certains pays optent pour une stratégie d’interruption de la transmission, cela ne sera pas si simple. L’expert souligne en effet que tout reposera sur le succès de la campagne de vaccination : les personnes considérées comme peu vulnérables depuis le début de la pandémie, notamment les jeunes, seront peut-être difficiles à convaincre. Accepteront-ils de se faire vacciner, non pas pour eux, mais pour protéger les personnes les plus à risque ?
Le gros problème que souhaite mettre en exergue Salisbury, c’est qu’au Royaume-Uni, comme partout ailleurs, le gouvernement a tendance à présenter le futur vaccin anti-COVID-19 comme le Messie. Si les populations acceptent les mesures restrictives (distanciation, confinement, travail à domicile, fermetures d’établissements, etc.) depuis plusieurs mois, c’est aussi parce qu’on leur donne l’espoir que tout cela ne sera plus qu’un mauvais souvenir une fois le « vaccin-providence » enfin disponible. En alimentant de tels faux espoirs, les politiciens risquent surtout de perdre la confiance de leurs citoyens (déjà largement ébranlée par la crise sanitaire). « Si l’espoir et l’optimisme sont indispensables en ces temps sombres, il est important d’être transparent. Nous devons communiquer le message clair que si la vaccination ciblée peut offrir une certaine protection, elle ne livrera pas la vie telle que nous la connaissions », conclut Salsbury.