En dehors de la vaccination, les moyens de lutte contre la COVID-19 sont pour l’instant soit symptomatiques, soit destinés à des formes très spécifiques de la maladie. Alors que la maladie ne cesse d’évoluer avec l’émergence de nouveaux variants, les scientifiques concentrent leurs efforts sur les moyens de la traiter efficacement. Étant donné qu’elle affecte profondément l’organisme jusqu’au niveau neurologique, des chercheurs du laboratoire Scripps Research se sont orientés vers les molécules antigrippales, connues pour agir également sur les maladies neurologiques. L’une d’elles, la NMT5 (déjà approuvée par la FDA), a démontré des résultats prometteurs contre le virus. Le composé retourne littéralement le virus contre lui-même et lui fait envoyer des « ogives » qui modifient la structure des protéines immunitaires avec lesquelles il se lie pour provoquer une infection. L’avantage ? Il pourrait potentiellement cibler toutes les variantes du virus ainsi que toutes les formes de la maladie.
Pour l’heure, les recommandations de l’OMS pour traiter la COVID sont en faveur de la combinaison nirmatrelvir/ritonavir. Cependant, ces antiviraux ne concerneraient que les patients à haut risque d’hospitalisation (les patients non vaccinés, immunodéprimés, âgés, etc.) présentant des formes bénignes et modérées. En plus de ne cibler qu’une portion des patients, ces médicaments présentent des lacunes considérables en matière d’accessibilité, notamment au niveau des pays à faibles revenus. Pour ces derniers, les médecins continuent parfois à prescrire des antibiotiques à large spectre (de type azytrhomycine), des antipaludéens et même des traitements homéopathiques.
Aujourd’hui, quelques composés de type antigrippal ont démontré une certaine efficacité pour contrer le virus. Cependant, ces antiviraux agissent davantage en bloquant une partie du virus et en engendrant une pression sur ce dernier, l’incitant à muter et à développer une résistance. Étant donné que le virus de la COVID-19, le SARS-CoV-2, est également connu pour affecter les neurones, les chercheurs de la nouvelle étude parue dans la revue Nature Chemical Biology ont exploré la piste des antigrippaux (de type mémantine), ces derniers ayant démontré par le passé une certaine efficacité contre certaines affections neurologiques, telles que Parkinson.
« Mon équipe avait amélioré ces médicaments antiviraux pour le cerveau, et lorsque la COVID-19 est apparue, nous nous sommes demandé si nous avions également, dans le processus, fait de l’un d’entre eux un meilleur antiviral », explique le co-auteur principal de l’étude Stuart Lipton, professeur à l’institut de recherche Scripps.
Les meilleurs résultats ont été observés avec un composé baptisé NMT5. Le principal avantage de ce dernier est qu’il se sert du virus en tant que transporteur de molécules modifiant les structures du récepteur ACE2 (une protéine clé dans la physiologie du coronavirus lui permettant de pénétrer les cellules hôtes). Cette stratégie permettrait notamment d’empêcher n’importe quel variant du virus d’infecter notre organisme.
« Nous nous attendons à ce que ce composé continue d’être efficace même si de nouvelles variantes émergent, car il ne repose pas sur l’attaque de parties du virus qui mutent généralement », explique Chang-ki Oh, auteur principal de la nouvelle étude et chercheur aux départements de médecine moléculaire et de neurosciences au Neurodegeneration New Medicines Center de La Jolla (États-Unis). Autre point fort : la molécule est déjà approuvée par la FDA, et son déploiement massif pourrait être plus aisé que pour d’autres composés nouvellement développés.
Des livreurs d’ogives nitreuses
Pour aboutir à la sélection de la NMT5, l’équipe de recherche de la nouvelle étude a testé une large gamme de composés de type mémantine, en améliorant leurs structures à l’aide de sortes « d’ogives » de nitroglycérine. La NMT5 peut ainsi à la fois se fixer à la surface du SARS-CoV-2 et modifier la structure des récepteurs ACE2 grâce à des dérivés nitreux, afin que le virus soit incapable de s’y lier et provoquer une infection.
Au cours d’essais sur des cellules isolées, la NMT5 modifiée s’est efficacement liée aux virus et a ajouté un groupe de molécules nitreuses aux récepteurs ACE2 en s’y approchant suffisamment. Cette modification structurelle aurait duré jusqu’à 12 heures, ce qui est suffisant pour que le virus ne puisse provoquer une infection généralisée. « Ce qui est vraiment beau, c’est que cela ne fait que réduire la disponibilité de l’ACE2 localement lorsque le virus arrive », souligne Lipton. Selon ce dernier, le nouveau médicament inhibe uniquement les ACE2 de façon locale, et n’affecte pas leur fonction ailleurs dans l’organisme.
En testant le composé sur le variant Omicron du SARS-CoV-2, 95% des liaisons aux cellules hôtes ont pu être empêchées. Chez le hamster, la NMT5 a réduit de 100 fois la charge virale, empêché les dommages pulmonaires et réduit les réponses inflammatoires. Cette efficacité a également été observée contre une dizaine d’autres variantes telles qu’alpha, bêta, gamma et delta. « Ce qui est si bien avec ce médicament, c’est que nous retournons le virus contre lui-même », déclare Lipton. À l’heure actuelle, les chercheurs élaborent une version de la molécule qui pourra prochainement être testée cliniquement. Des tests supplémentaires de toxicité et d’efficacité sont également au programme.