En s’appuyant sur des simulations, des chercheurs suggèrent qu’il est possible de produire de la matière en laboratoire uniquement à partir de lasers. La puissance des lasers dont nous disposons actuellement permettrait notamment d’obtenir des conditions propices aux collisions photon-photon — le mécanisme fondamental par le biais duquel la matière est générée dans l’Univers. Les futures expériences issues de cette étude pourraient potentiellement aider à éprouver les différentes théories concernant la composition de l’Univers.
Conformément à la célèbre équation d’Einstein selon laquelle l’énergie est égale à la masse multipliée par la vitesse de la lumière au carré (E=mc2), la matière pourrait être générée uniquement à partir de la lumière. Cela s’effectuerait par le biais de collisions photon-photon, avec la propulsion d’ions métalliques (tels que l’or) à de très grandes vitesses. L’accélération permettrait notamment « d’envelopper » ces ions de photons qui, en s’entrechoquant, génèreraient de la matière et de l’antimatière, comme cela aurait été le cas lors du Big Bang.
Si le phénomène a déjà pu être observé au niveau de pulsars, il n’a encore jamais été réalisé en laboratoire en raison de la puissance extrêmement élevée requise pour les lasers impliqués. Cependant, des chercheurs de l’Université d’Osaka et de l’Université de Californie à San Diego suggèrent que cela est réalisable avec une configuration étonnamment simple et avec des lasers actuellement disponibles. Leurs simulations, effectuées dans le cadre d’une nouvelle étude publiée dans la revue Physical Review Letters, révèlent qu’il est possible de réaliser de collisions photon-photon avec des intensités laser déjà obtenues.
Une réalisation expérimentale facilitée
Les simulations de la nouvelle étude ont démontré que lorsqu’il interagit avec l’intense champ électromagnétique généré par le laser, le plasma (c’est-à-dire le gaz ionisé) peut s’auto-organiser de sorte à former un collisionneur de photons. Ce dernier générerait ensuite d’intenses rayonnements gamma, dont la densité équivaudrait à 10 fois celle des électrons du plasma initial. Leur énergie serait également un million de fois supérieure à celle des photons du laser.
La collision des photons permettrait la formation de paires composées d’électrons et de positrons (ou anti-électrons). Les positrons seraient ensuite à leur tour accélérés par le biais du champ électrique du plasma, donnant ainsi lieu à un faisceau de positrons de l’ordre du gigaélectronvolt. C’est-à-dire que ce serait le champ de plasma plutôt que le laser qui servirait d’accélérateur de positrons. Cela suggère que l’ensemble du processus pourrait aboutir finalement à la formation de matière et d’antimatière, notamment des particules subatomiques qui les composent.
Le protocole de simulation étudié ici s’effectue selon le processus linéaire de Breit-Wheeler (BW), ou processus à deux photons. « Il s’agit de la première simulation d’accélération de positrons issue du processus linéaire de Breit-Wheeler dans des conditions relativistes », explique dans un communiqué le coauteur de l’étude, A. Arefiev, de l’Université de Californie à San Diego.
Le processus de Breit-Wheeler (ou production de paires Breit-Wheeler) est un processus physique au cours duquel une paire positon-électron est créée à partir de la collision de deux photons. Il s’agit entre autres du mécanisme le plus simple par lequel la lumière pure peut être potentiellement transformée en matière. Lors d’un processus BW linéaire, l’annihilation de faisceaux de rayons gamma énergétiques (c’est-à-dire la conversion de leur masse en énergie) conduit à la production de paires électron-positon. En outre, si le processus non linéaire nécessiterait une intensité laser supérieure à 1023 Watts par centimètre carré, celui à deux photons n’aurait pas besoin d’une telle intensité, car il s’appuie davantage sur la densité du rayonnement gamma.
Le recours à des intensités laser expérimentalement réalistes (c’est-à-dire relativement modestes) pourrait faciliter la réalisation expérimentale du processus de formation de la matière. « Nous pensons que notre proposition est réalisable sur le plan expérimental et nous attendons avec impatience sa mise en œuvre dans le monde réel », suggère Vyacheslav Lukin, directeur de programme à la National Science Foundation des États-Unis, qui a soutenu les travaux. À terme, les expériences pourraient potentiellement permettre d’éprouver des théories de longue date, telles que celle de la matière noire ou peut-être même de découvrir de nouveaux phénomènes physiques.