Des chercheurs ont développé une crème solaire à base de pollen de camélia offrant une protection comparable à celle des crèmes disponibles dans le commerce, sans impacter les coraux. Lors d’essais en laboratoire, le produit a gardé les coraux sains même après 60 jours d’exposition et a également réduit la température de surface de la peau – un avantage que l’on ne trouve généralement pas dans les crèmes solaires standard.
Les récifs coralliens constituent l’un des écosystèmes les plus diversifiés et les plus dynamiques de la planète. Ils sont constitués d’un ensemble de systèmes interconnectés fonctionnant en synergie pour maintenir un équilibre subtil entre processus biologiques, chimiques et physiques. Cet équilibre soutient la biodiversité qu’ils abritent et l’interaction complexe entre les espèces et leurs habitats.
Ils sont cependant fortement menacés par les activités humaines, une perturbation qui pourrait faire basculer cet équilibre vers un point de non-retour. De récents rapports indiquent que les récifs coralliens sont confrontés depuis 2023 au plus grand épisode de blanchissement enregistré. Le stress thermique au cours des années consécutifs a affecté 83,7% des récifs du monde entier.
Le blanchissement est un phénomène au cours duquel les coraux expulsent les algues microscopiques qui confèrent leur couleur, les rendant plus vulnérables aux stress environnementaux. Si le réchauffement climatique d’origine anthropique est reconnu pour être l’un des principaux contributeurs au blanchissement massif actuel, d’autres facteurs, tels que la pollution plastique et chimique, sont aussi en cause.
En particulier, les composés chimiques contenus dans les crèmes solaires, comme l’oxybenzone, l’octocrylate et l’octinoxate, sont toxiques pour les coraux et peuvent provoquer leur blanchissement. Ils sont rejetés dans l’environnement soit directement par les baigneurs, soit par le biais des eaux usées. On estime que 14 000 tonnes de crème solaire sont rejetés chaque année dans les cours d’eau du monde entier et dans les océans.
Cependant, bien que nocifs pour l’environnement, les produits de protection solaire comme les crèmes sont devenus indispensables pour la prévention des lésions cutanées et des cancers de la peau, surtout dans un monde qui se réchauffe. Dans le cadre d’une nouvelle étude publiée dans la revue Advanced Functional Materials, des chercheurs de l’Université technologique de Nanyang, à Singapour (NTU Singapour), proposent une alternative offrant à la fois une protection maximale et moins nocive pour les coraux.
« Nous souhaitions développer une crème solaire naturelle, abordable et efficace, non allergène et respectueuse de l’environnement », explique dans un communiqué Cho Nam-Joon, président de la chaire de science et d’ingénierie des matériaux au NTU Singapour et co-auteur principal de l’étude.
Un microgel qui rafraîchit la peau jusqu’à 5 °C
Les chercheurs ont créé une crème solaire à base de pollen de camélia (Camellia sinensis), le pollen étant connu pour son excellente résistance aux rayonnements UV. Les grains sont en effet enrobés de sporopollénine, l’un des biopolymères les plus résistants, faisant office de bouclier naturel pour protéger le matériel génétique pendant son transport. Sa résistance est telle que le pollen peut être retrouvé dans des fossiles vieux de plusieurs millions d’années.
« Nous savons que le pollen est naturellement résistant aux UV, car son enveloppe doit protéger son contenu des agressions environnementales, notamment du soleil. Nos recherches visaient à développer un moyen de transformer les grains de pollen en un gel, afin de faciliter leur application sur la peau », explique Cho. D’autre part, la fleur de camélia a été choisie car elle est autogame (c’est-à-dire qu’elle peut s’autoféconder car elle produit son propre pollen) et donc considérée comme non allergène en comparaison d’autres pollens.
Pour formuler la mixture de microgel, les chercheurs ont utilisé un procédé à base d’eau qui n’utilise ni composés chimiques agressifs, ni chaleur élevée. Le pollen a été traité en extrayant le contenu interne des grains. Une fois appliqué sur la peau, la couche de microgel n’a qu’une épaisseur de quelques microns et est transparente à l’œil nu.
Le produit a été testé sur des modèles souris en étant comparé avec une crème à base de pollen de tournesol (Helianthus annuus) et une crème solaire standard. Les expériences ont montré que la crème à base de pollen de camélia avait un facteur de protection solaire de 30 (FPS 30), ce qui signifie qu’il bloque environ 97% des rayons UV. Cet indice de protection est comparable à celui de la plupart des crèmes disponibles dans le commerce. La crème à base de pollen de tournesol n’offrait en revanche qu’un FPS d’environ 5.
Les résultats des expériences ont également montré que la crème de pollen de camélia réduisait significativement les dommages et l’inflammation des cellules cutanées chez les souris. D’autre part, le microgel a régulé la température de surface de la peau plus efficacement que les crèmes commerciales, en la maintenant notamment 5 °C plus fraîche pendant 20 minutes d’exposition au Soleil. D’après les chercheurs, cette capacité de rafraîchissement est attribuée aux propriétés naturelles du pollen : il absorbe moins d’énergie dans le spectre visible et proche infrarouge.
« En réduisant naturellement la température de la peau pendant l’exposition au soleil, cet écran solaire promet un confort accru et une peau plus saine, ce qui le rend particulièrement intéressant pour explorer davantage la stabilité dans diverses conditions de stockage et l’évolutivité de la récolte durable du pollen », a ajouté Andrew Tan Nguan Soon, expert en maladies dermatologiques de la Lee Kong Chian School of Medicine (LKCMedicine) de la NTU, qui n’a pas participé à la recherche.
Des coraux restés sains même après 60 jours
Pour évaluer les effets du microgel de pollen de camélia sur les coraux, les chercheurs ont exposé des Acropora (un genre corail dur) en aquarium. Les effets ont été comparés avec ceux de la crème solaire standard. Les coraux exposés à la crème solaire standard ont complètement blanchi après deux jours d’exposition et sont morts au sixième jour. En revanche, ceux exposés au microgel sont restés intacts même après 60 jours d’exposition.
La prochaine étape sera d’évaluer les effets du microgel sur la faune sauvage en milieu naturel, avant de passer aux essais cliniques. L’équipe estime que le produit pourrait être commercialisé d’ici cinq à huit ans si les essais sont concluants.