Des chercheurs sont parvenus à allonger la durée de vie des cristaux temporels jusqu’à 40 minutes, soit 10 millions de fois supérieure à ce qui a été fait lors de précédentes expériences. Marquant une avancée significative dans le domaine de la physique quantique, il s’agit de la confirmation la plus solide d’un phénomène selon lequel la répétitivité périodique de la structure des cristaux concerne à la fois l’espace et le temps.
Les cristaux sont caractérisés par un arrangement structurel périodique et répétitif d’atomes dans l’espace. Cet arrangement leur donne leur aspect lisse caractéristique, comme la surface des pierres précieuses taillées. Alors que cet agencement périodique se manifeste dans l’espace, Frank Wilczek, physicien au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et lauréat du prix Nobel de physique de 2004, a suggéré en 2012 que cela pourrait aussi concerner le temps, sous la forme de cristaux temporels.
Selon Wilczek, il est possible de concevoir des cristaux temporels composés de groupes de particules se déplaçant et revenant périodiquement à leur état d’origine, à la manière d’un oscillateur. Cela pourrait s’effectuer même si le système ne subit pas d’interférence périodique correspondante qui pourrait enclencher le phénomène. Ce dernier serait toutefois, bien entendu, distinct du mouvement perpétuel (mouvement pouvant durer indéfiniment sans apport extérieur d’énergie ou transformation de matière), étant donné qu’un cristal temporel n’émet théoriquement aucune énergie.
Considéré jusqu’à il y a peu comme impossible, le phénomène a fait l’objet de débats pendant plusieurs années jusqu’en 2017, où des chercheurs sont parvenus à l’expérimenter. Toutefois, contrairement à la théorie initiale, ces cristaux devaient être soumis à une excitation temporelle périodique pour persister.
Ce n’est qu’en 2022 qu’un cristal oscillant périodiquement dans le temps et indépendamment du timing de l’excitation a été produit dans un condensat de Bose-Einstein (un état de la matière formé de bosons à une température suffisamment basse). Par la suite, d’autres chercheurs sont parvenus à en simuler à l’aide de puissants ordinateurs quantiques. Cependant, les cristaux temporels obtenus n’ont duré que quelques millisecondes à une centaine de secondes.
Dans leur nouvelle étude, récemment publiée dans la revue Nature Physics, des chercheurs de l’Université technique de Dortmund (en Allemagne) révèlent le cristal temporel le plus robuste à ce jour. Ils sont notamment parvenus à prolonger de façon étonnante la durée d’oscillation (ou durée de vie) du cristal.
Une durée de vie record de 40 minutes
Pour concevoir leur cristal, les physiciens de Dortmund ont sélectionné des motifs d’arséniure d’indium et de gallium, dans lesquels les spins nucléaires servent de réservoir d’induction de l’oscillation pour le cristal temporel. Le spin est une caractéristique quantique intrinsèque des composants d’un atome, comme la masse et la charge. Par exemple, la résonance magnétique nucléaire est une propriété de certains noyaux atomiques possédant un spin nucléaire et placés dans un champ magnétique. Pour le cristal temporel, l’interaction entre les spins du noyau et les électrons permet d’induire une oscillation, un peu à la façon d’un pendule.
Plus précisément, le cristal a été éclairé de manière continue par un faisceau lumineux précisément dosé, de sorte qu’une polarisation des spins nucléaires ait lieu, par le biais de l’interaction avec les spins des électrons. La polarisation du spin est une mesure du degré d’alignement du spin avec une direction donnée, pouvant être induite par un champ magnétique ou électrique. « Et c’est précisément cette polarisation de spin nucléaire qui génère alors spontanément des oscillations, équivalentes à un cristal temporel », ont expliqué les chercheurs dans un communiqué de l’Université technique de Dortmund.
Au cours de leurs expériences, les chercheurs ont constaté que les oscillations obtenues ne présentaient aucun signe de décroissance, même au bout de 40 minutes — soit 10 millions de fois plus longtemps que ce qui a été possible jusqu’ici. Cela suggère également que le phénomène peut potentiellement persister plusieurs heures. « Il est possible de faire varier la période du cristal sur de larges plages en modifiant systématiquement les conditions expérimentales », suggèrent les experts.
Par ailleurs, il serait également possible d’ajuster les conditions de sorte que le cristal fusionne et perde sa périodicité. Il serait alors intéressant d’étudier comment ce type de comportement chaotique pourrait se maintenir sur de longues périodes.