En Inde, une bande de crocodiles semble avoir secouru un chien qui avait plongé dans la rivière pour fuir une meute. Au lieu de le dévorer, ils l’ont poussé avec leur museau, probablement pour le guider vers un endroit plus sûr. D’après les naturalistes sur place, ce comportement insolite ressemblerait à de l’empathie et témoignerait de capacités cognitives élevées. D’autres experts sont cependant sceptiques et suggèrent davantage un comportement d’apprentissage par expérience.
La majorité des études concernant les crocodiles et les alligators sont axées sur leur écologie et très rarement sur leur éthologie. En effet, parmi les vertébrés, ceux considérés comme étant sociaux présentent des comportements complexes et diversifiés. En revanche, il est largement accepté que les reptiles sont solitaires et agressifs et n’affichent que peu de comportements sociaux — exceptés la défense du territoire et l’affirmation hiérarchique. Pourtant, il est relativement réductionniste de restreindre les animaux comme étant strictement solitaires ou sociaux, étant donné que chaque espèce doit interagir avec ses congénères tout au long de sa vie. Des rapports suggèrent des comportements de groupe beaucoup plus étendus chez les crocodiles, qui iraient jusqu’à l’altruisme.
L’on pourrait penser qu’il existe une forme de négligence, concernant l’étude éthologique de ces animaux. Les raisons pourraient découler d’un certain manque d’objectivité. La plupart des éthologues ont tendance à favoriser l’étude des mammifères et des oiseaux, ayant des couleurs, des expressions faciales et vocales plus lisibles, plutôt que des reptiles, aux couleurs ternes et inactifs le plus clair de leur temps. Beaucoup moins faciles à observer et généralement considérés majoritairement pour leur côté prédateur, les crocodiles n’ont bénéficié que de peu d’attention.
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Une nouvelle étude, publiée dans la revue Journal of Threatened Taxa, est l’une des rares à être dédiée à l’éthologie des crocodiles. Menée en Inde par des chercheurs du Hazarimal Somani College, elle révèle d’étonnants comportements de pêche coopérative, d’utilisation de leurres pour la chasse ainsi qu’une curieuse propension des crocodiles des marais (Crocodylus palustris) à « apprécier » les roses d’Inde (Tagetes erecta).
Un intriguant comportement ressemblant à de l’empathie envers un chien errant a également été rapporté. Ces résultats suggèrent que ces reptiles sont dotés de capacités cognitives beaucoup plus élevées qu’on le pensait auparavant.
Un comportement semblable à de l’empathie
La nouvelle étude s’inscrit dans un suivi à long terme effectué depuis 2014 sur la population de crocodiles des marais de la rivière Savitri, dans la ville de Mahad du Maharashtra. Les observations ont été effectuées en tenant compte des limites de distance de sécurité pour les chercheurs et de distance territoriale pour les reptiles. 5 observateurs étaient quotidiennement postés entre 6h00 et 12h00, 14h00 et 18h00 et 19h00 et 23h00. Les interactions entre congénères et avec d’autres espèces (principalement des oiseaux) ainsi que les affinités avec les objets présents dans l’eau, ont été analysées.
Il a été constaté que les crocodiles chassaient principalement des poissons et des oiseaux. La chasse pouvait s’effectuer individuellement ou collectivement, généralement par groupes de 3 individus. Les crocodiles de Savitri nageaient à une vitesse modérée et constante en formant des cercles. Cela créait un tourbillon dans l’eau pour piéger les poissons et le groupe se partageait le butin.
La pêche collective s’observait généralement entre 8h00 et 9h00 et se déroulait trop régulièrement pour être considérée comme un hasard. De plus, la technique de nage circulaire différait de celle des parades nuptiales. Si ce type de comportement coopératif est très souvent observé chez les mammifères, il est très peu documenté chez ces reptiles. Une stratégie de chasse similaire a déjà été observée chez les alligators, qui l’agrémentent en plus avec des claquements particuliers de la mâchoire pour désorienter les proies.
Fait intéressant, parmi les stratégies de chasse figurait également l’utilisation d’appâts. Les crocodiles restaient immobiles en gardant de courtes brindilles au-dessus de leur museau, de leur tête, de leur dos et même de leur queue, afin d’attirer les oiseaux. Il leur arrivait aussi de se servir de bouts de tissu, fréquemment ramassés par les échassiers pour la construction de leurs nids. Les reptiles utilisaient plus souvent ces techniques lors de la saison de nidification de ces oiseaux.
Curieusement, les crocodiles semblent avoir développé un intérêt particulier pour les roses d’Inde, ces fleurs jaunes et oranges propagées dans l’eau lors de rituels funéraires. Ils nageaient et se prélassaient sur les zones de la rivière où abondaient les fleurs. Des recherches ont précédemment rapporté que certaines espèces pouvaient manipuler des débris flottant sur l’eau pour jouer. Bien que ceux de Savitri ne manipulaient pas directement les fleurs, ils semblaient vouloir en garder le contact avec leur corps. Les experts suggèrent que les vertus bactéricides de ces fleurs pourraient en être la cause.
Mais le comportement le plus surprenant est sans doute celui qu’ils ont témoigné envers un chien errant. Alors que celui-ci fuyait une meute de chiens qui l’agressait, il a sauté dans la rivière infestée de crocodiles. Alors que les chercheurs s’attendaient à ce qu’il se fasse dévorer, les deux reptiles qui s’étaient approchés l’ont poussé avec leur museau pour le guider vers un endroit plus sûr. Étant donné que le chien était cerné et à portée de morsure, les experts estiment que les prédateurs ont délibérément choisi de ne pas l’attaquer, dans un comportement ressemblant à de l’empathie.
Cependant, cette conclusion reste spéculative ont précisé les chercheurs indiens. Des comportements plus ou moins similaires chez les crocodiles ont été évoqués, mais la plupart sont anecdotiques. Les pairs commentant l’étude sont d’ailleurs sceptiques et suggèrent davantage un comportement d’apprentissage par expérience. En effet, ces reptiles ont peut-être antérieurement vécu une mauvaise expérience avec des chiens et n’ont ainsi pas voulu l’attaquer. Bien que l’étude démontre bel et bien une forme de cognition insoupçonnée, il est très peu probable qu’il s’agisse d’empathie, selon les chercheurs.