Depuis longtemps, les processus cellulaires oscillatoires sont au centre de l’attention des biologistes. En effet, la façon dont ils sont coordonnés est essentielle au bon fonctionnement d’une cellule. Toutefois, il reste à comprendre comment deux processus oscillatoires, tels que le cycle cellulaire et le rythme circadien, se couplent au sein d’une seule cellule. Pour répondre à cette interrogation, des chercheurs se sont intéressés à l’horloge circadienne des cyanobactéries et ont découvert que cette ancienne lignée de bactéries semble réguler ses gènes à l’aide d’un mécanisme rappelant celui d’une radio AM. Selon l’équipe, cette découverte devrait permettre de mieux comprendre la régulation des processus cellulaires.
La quasi-totalité des fonctions de l’organisme obéit au rythme circadien : sommeil, température corporelle, pression artérielle, fréquence cardiaque ou encore production d’hormones. Ce rythme, caractérisé par des variations cycliques régulières sur un cycle d’environ 24 heures, agit tel un chef d’orchestre. Il est orchestré par une horloge biologique située dans le noyau suprachiasmatique, en permanence synchronisée par des facteurs environnementaux externes.
Dans le métabolisme, au-delà du rythme circadien, le cycle cellulaire — ce processus qui permet la division cellulaire — suit lui aussi un schéma oscillatoire. Bien que distincts, ces deux processus peuvent néanmoins s’influencer mutuellement au sein d’une même cellule. Ce phénomène, qui intrigue les biologistes depuis longtemps, a trouvé un début d’explication grâce aux travaux menés par le professeur James Locke du Sainsbury Laboratory de l’Université de Cambridge (SLCU) et le Dr Bruno Martins de l’Université de Warwick.
Les cyanobactéries, un modèle d’étude « idéal »
Pour explorer le couplage des circuits génétiques oscillatoires, les chercheurs ont choisi de se concentrer sur les cyanobactéries, souvent appelées algues bleues — bien qu’elles ne soient pas des algues au sens strict. Ces bactéries photosynthétiques, capables de capter la lumière grâce à leurs phycocyanines, possèdent une horloge circadienne particulièrement simple.
Lors de leurs observations, Locke et ses collègues ont découvert que ces organismes régulaient leurs gènes à l’aide de variations d’amplitude, rappelant le fonctionnement d’une radio AM. « L’une des raisons pour lesquelles nous étudions les cyanobactéries est qu’elles possèdent l’horloge circadienne la plus simple de tous les organismes », explique le professeur Locke dans un communiqué de l’Université de Cambridge. Il ajoute : « La comprendre pose donc les bases nécessaires à l’étude des horloges d’organismes plus complexes, comme les plantes et les humains ».
Vidéo en accéléré de S. elongatus (une cyanobactérie unicellulaire). Les cellules pulsent lors de la division cellulaire. L’intervalle entre les images est de 45 minutes (© Chao Ye et al.) :
Un mécanisme rappelant les radios AM
Une radio AM (Amplitude Modulation) transmet des signaux en modulant l’amplitude d’une onde porteuse générée par un courant électrique. Bien que la fréquence de cette onde reste constante, son amplitude varie selon l’intensité du signal audio. Les chercheurs ont constaté que, dans les cyanobactéries, la transmission des informations au sein des cellules suit un mécanisme similaire.
Pour arriver à cette découverte, l’équipe a combiné deux approches : la microscopie accélérée à cellule unique et la modélisation mathématique. Selon la nouvelle étude, publiée dans Current Biology, la microscopie a permis de suivre l’expression du facteur sigma alternatif RpoD4, une protéine clé dans la transcription de l’ADN en ARN. Par le biais d’une modélisation, ils ont ensuite exploré les mécanismes de traitement des signaux, comparant leurs résultats aux observations microscopiques. « Nous avons constaté que l’horloge module l’amplitude des impulsions d’expression du facteur sigma alternatif RpoD4, qui ne se produisent qu’au moment de la division cellulaire », expliquent les chercheurs.
Le Dr Chao Ye, auteur principal de l’étude, précise : « L’horloge circadienne détermine l’intensité de ces impulsions au fil du temps ». Ce mécanisme permet aux cellules de coder deux types d’informations distinctes dans un même signal : la fréquence des impulsions reflète le cycle cellulaire, tandis que leur amplitude encode des informations sur l’horloge de 24 heures. Ces travaux pourraient ouvrir des perspectives intéressantes, notamment pour l’agriculture et la durabilité. « Ils pourraient nous aider à développer des cultures plus résistantes aux variations environnementales », conclut le professeur Locke.