Diverses études portant sur la ménopause ont montré que les hormones ovariennes peuvent influencer la structure cérébrale et ainsi la santé mentale à long terme. Cependant, les effets de la fluctuation de ces hormones plus tôt dans la vie — au cours des années de reproduction — étaient jusqu’ici en grande partie inexplorés. Une récente étude révèle que la variation de leur niveau au cours du cycle menstruel est liée à des remodelages significatifs des centres cérébraux clés de l’apprentissage et de la mémoire.
L’œstrogène et la progestérone sont les hormones sexuelles les plus importantes chez la femme. Plusieurs décennies d’enquêtes ont suggéré que ces hormones ovariennes sont de puissants modulateurs de la neuroplasticité. Des expériences effectuées sur des modèles animaux ont démontré que leurs fluctuations induisaient des effets régulateurs sur la différenciation des cellules cérébrales, la densité de la colonne dendritique et des synapses, la croissance des axones et la myélinisation.
Chez les femmes, le cycle menstruel permet d’explorer en profondeur les effets de la variation des hormones ovariennes sur le cerveau. Lorsque le cycle est régulier, il se produit des épisodes ponctuels où le niveau d’œstrogène est multiplié par 8 par rapport au taux normal (au cours de la première moitié du cycle), tandis que ce chiffre passe à 80 pour la progestérone (au cours de la seconde partie du cycle). Des études ont récemment mis en lumière l’influence de cette fluctuation sur la fonction cérébrale et le comportement. Cependant, peu d’entre elles se sont concentrées sur la manière exacte dont elle peut façonner la structure du cerveau et la neuroplasticité chez les adultes.
« En général, le cerveau féminin est encore très peu étudié en neurosciences cognitives. Même si les hormones sexuelles stéroïdes sont de puissants modulateurs de l’apprentissage et de la mémoire, moins de 0,5% de la littérature en neuroimagerie considère les phases de transition hormonales, telles que le cycle menstruel, l’influence des contraceptifs hormonaux, de la grossesse et de la ménopause », explique dans un communiqué la coauteure Julia Sacher, de l’Institut Max Planck.
Des changements majeurs potentiellement sous-jacents à la démence et induits par la ménopause précoce ont notamment récemment été mis en évidence par le passé. Toutefois, les effets des variations hormonales plus tôt dans la vie (c’est-à-dire au cours des cycles menstruels) sur la neuroplasticité étaient peu explorés. La nouvelle étude, dirigée par l’institut Max Planck, visait à combler ces lacunes en utilisant des techniques avancées d’imagerie et en analysant le cycle menstruel sur plusieurs étapes. « Pour identifier les mécanismes sous-jacents au risque et à la résilience face aux troubles de santé mentale, tels que la dépression ou la maladie d’Alzheimer, nous avons besoin d’une compréhension plus approfondie de la façon dont le cerveau féminin en bonne santé s’adapte au changement », suggère Sacher.
Un gain de précision grâce à l’IRM à ultra-haut champ
Pendant la grossesse et au cours du cycle menstruel, le lobe temporal médian (MTL) présente un important degré de plasticité, en raison de la forte présence de récepteurs d’œstrogène et de progestérone. Le MTL inclut l’hippocampe, l’amygdale et le cortex rhinal. Ces régions sont impliquées dans la régulation émotionnelle et la cognition (mémoire épisodique, perception spatiale, apprentissage). De précédentes études ont révélé que les phases du cycle menstruel au cours desquelles le niveau d’œstrogène est élevé sont liées à une augmentation du volume hippocampique. Cependant, ces dernières manquent de cohérence, car elles n’évaluent généralement que deux stades du cycle menstruel comme indicateurs des niveaux hormonaux — qui n’étaient donc pas directement mesurés. Les chercheurs de Max Planck suggèrent que les modèles d’étude nécessitent des données hormonales et de neuroimagerie plus précises, s’étendant sur l’ensemble du cycle menstruel.
D’un autre côté, les récentes avancées en matière de neuroimagerie permettent désormais de délimiter in vivo et plus efficacement des sous-régions de l’hippocampe et du MTL. Ce gain de précision est essentiel étant donné la cytoarchitecture, la chimioarchitecture et les circuits uniques des sous-régions MTL contribuant au vieillissement cérébral. Dans le cadre de la nouvelle étude, détaillée dans la revue Nature Mental Health, des neuroscientifiques se sont basés sur des données obtenues par imagerie par résonance magnétique à ultra-haut champ (de 7 teslas, noté IRM 7-T) et densément échantillonnées, enregistrées à plusieurs étapes du cycle menstruel.
Des changements de volume de régions cérébrales clés
Le protocole de l’institut Max Planck analyse le cerveau féminin non seulement à une étape clé du cycle menstruel, mais également à 6 autres stades, incluant notamment la phase prémenstruelle, menstruelle, pré-ovulatoire, ovulatoire, post-ovulatoire et mi-lutéale. Pour ce faire, les experts ont collecté des prélèvements sanguins de 27 jeunes adultes en bonne santé tout en les soumettant à une IRM-7-T à chacune de ces étapes.
Ensuite, un logiciel de segmentation automatisée des sous-régions hippocampiques a été utilisé afin de capturer et cartographier jusqu’aux plus infimes différences morphologiques individuelles, au niveau du MTL. Après analyse, les chercheurs ont constaté une association positive entre les niveaux d’œstrogène et le volume du cortex parahippocampique, ainsi que les taux de progestérone et les volumes du subiculum (la partie basse de l’hippocampe) et de la zone périrhinale. L’interaction entre les deux hormones influençait également le volume du cornu ammonis 1, dont la perte de neurones y est associée à la pathogénicité de la maladie d’Alzheimer.
Plus précisément, « nous avons pu déterminer que certaines régions du lobe temporal médial, cruciales pour la mémoire épisodique et la cognition spatiale, se dilatent sous des niveaux élevés d’œstradiol et de faibles niveaux de progestérone, c’est-à-dire que ces zones cérébrales se remodèlent en synchronisation avec le cycle menstruel », indique Sacher. Le prochain objectif des chercheurs consiste à déterminer si ces changements rythmiques sont différents chez les femmes à risque de troubles de la mémoire et du comportement. Ils permettront aussi d’éclairer les mécanismes sous-jacents aux neuropathologies spécifiques ou à forte prévalence féminine.