À l’heure actuelle, il n’existe aucun traitement contre le daltonisme, une maladie génétique affectant la vision des couleurs et touchant des millions de personnes dans le monde. Au cours des dernières années, la thérapie génique a fait de grandes avancées dans l’espoir de découler sur un traitement efficace contre la maladie. Exploitant la plasticité du cerveau, des chercheurs de l’University College de Londres ont tenté une approche de thérapie génique précoce pour activer les cellules coniques de la rétine de quatre enfants atteints de daltonisme total. Résultat : la thérapie a permis d’activer partiellement les cônes dormants. Une première mondiale.
Selon les personnes et l’identité du gène ayant muté, le daltonisme peut se manifester sous différentes formes. Dans le cas de l’achromatopsie où la maladie est dite « totale », elle est causée par la mutation de gènes particuliers et affecte les photorécepteurs coniques de la rétine, ces derniers étant responsables de la perception des couleurs. Les personnes souffrant de daltonisme total ont également une mauvaise vue en général, une photophobie (ne supportent pas la lumière vive) et également ce qu’on appelle un nystagmus (oscillation involontaire des yeux).
Chez ces personnes, les cellules coniques sont partiellement ou totalement inactives et n’envoient pas ou peu de signaux aux neurones. Comme chacun de ces cônes est responsable de la perception d’une gamme de couleurs précise, les daltoniens ne perçoivent pas ou mal les couleurs lorsque ces cellules sont inactives.
À savoir que la maladie héréditaire a une prévalence plus importante chez les hommes que chez les femmes, car la mutation est portée par le chromosome X. Et même si la majorité des cas concerne une forme bénigne, elle représente des défis quotidiens pour les malades, qui ont tendance à être stigmatisés et n’ont pas accès à certaines activités et professions.
Comme les cellules en cônes sont présentes chez chaque individu dès la naissance, les pistes thérapeutiques contre le daltonisme se concentrent actuellement sur les moyens d’activer ces cellules, ces dernières étant « dormantes » chez les malades. Depuis quelques années, les prouesses de la thérapie génique ont montré des résultats positifs chez des modèles non primates et primates, suscitant un espoir d’un traitement clinique.
Les chercheurs de la nouvelle étude ont alors tenté d’exploiter la plasticité du cerveau en plein développement d’enfants atteints de daltonisme en leur administrant précocement la thérapie génique. Chez deux enfants nés avec une achromatopsie, les récepteurs en cônes ont été partiellement activés, impliquant que le traitement peut intervenir au niveau de la voie neuronale spécifique à ces cellules.
« Nous démontrons le potentiel de tirer parti de la plasticité du cerveau, qui peut être particulièrement capable de s’adapter aux effets du traitement lorsque les gens sont jeunes », explique Tessa Dekker, auteure principale de la nouvelle étude, parue dans la revue Brain, et chercheuse au département d’ophtalmologie de l’University College de Londres. Selon l’experte, cette étude serait la première à confirmer l’hypothèse répandue selon laquelle la thérapie génique administrée aux enfants et aux adolescents peut activer avec succès les voies des photorécepteurs en cones dormants, et permettre des signaux visuels jamais observés chez ce type de patient.
Des résultats positifs sur deux enfants sur quatre
Pour tester la nouvelle thérapie, quatre enfants (de 10 à 15 ans) atteints d’achromatopsie ont participé à deux essais différents. Ciblant chacun un gène spécifique, les deux essais ciblaient les gènes connus pour provoquer la maladie. Grâce à une approche de cartographie par IRM fonctionnelle (IRMf), les signaux des cellules en cônes ont pu être mesurés après traitement, pour tracer tout changement d’activité.
Après administration des traitements, les yeux des enfants ont été stimulés par des sources lumineuses ciblant sélectivement les cellules en cônes et en bâtonnets. Le nystagmus des sujets a également été pris en compte. Les résultats ont ensuite été comparés avec ceux de neuf patients non traités et 28 volontaires ayant une vision normale. Les quatre enfants daltoniens n’ont reçu le traitement qu’à un seul œil, afin de pouvoir comparer son efficacité par rapport à l’œil non traité.
Chez deux des enfants malades traités, des signaux émanant des cellules coniques de l’oeil traité ont été observés 6 à 14 mois après l’administration du traitement. L’activité des cellules était étroitement similaire à celle observée chez les individus sains, et ce type d’activité n’a jamais été observé avant la prise du traitement chez les patients concernés.
Les participants ont également effectué des tests psychophysiques évaluant la capacité de leurs yeux à percevoir différents contrastes et couleurs. La perception liée aux cellules coniques a été considérablement améliorée chez les deux enfants susmentionnés.
Chez les deux autres enfants daltoniens traités, l’efficacité de la thérapie ne serait pas à exclure d’après les chercheurs, car les effets pourraient survenir plus tard. Il est également possible que les tests effectués en vue de déceler une amélioration de l’acuité visuelle ne soient pas suffisamment adaptés. De plus, la totalité des résultats n’aurait pas encore été compilée. L’efficacité réelle du traitement devrait donc être réévaluée.