L’Agence pour les projets de recherche avancée de défense (DARPA) développe une fois de plus une arme inédite. Le Pentagone a en effet annoncé récemment le financement de recherches de l’Université de Washington à Saint-Louis et de l’Université du Texas A&M pour la conception d’un prototype de laser quantique révolutionnaire. Ce laser d’un nouveau genre vise à surmonter les limites des modèles actuels, avec notamment la capacité de traverser le brouillard et de maintenir l’efficacité sur de longues distances.
Le laser a changé de manière fondamentale nos technologies dès son introduction en 1960 et jusqu’à présent, pour des usages courants, il ne rencontre pas d’obstacles particuliers. Dans le domaine militaire, il constitue une technologie essentielle au ciblage, à la communication par satellite ainsi qu’à la navigation (pour le Lidar notamment). Plus récemment, le laser est utilisé pour la conception d’armes à énergie dirigée, destinées par exemple à détruire des petites cibles telles que des drones ou des missiles par le biais d’un faisceau laser hautement concentré. Cependant, cette technologie n’est pas sans faille. En effet, le laser n’est essentiellement qu’une amplification et une concentration de la lumière, ce qui implique un manque de précision dans des conditions défavorables, qu’il s’agisse de brouillard, de températures extrêmes ou simplement de longues distances.
Pour pallier ce problème, la DARPA subventionne à hauteur de 930 000 euros et sur deux ans un programme de recherche, dirigé par Jung-Tsung Shen, visant à améliorer les performances du laser. Avec son équipe, Shen, professeur agrégé à l’Université de Washington et expert en dispositifs de manipulation de la lumière, développe un laser exploitant l’intrication quantique pour de meilleures performances. Les chercheurs ont baptisé le nouveau prototype « laser dimère photonique quantique ».
En règle générale, les lasers conventionnels fonctionnent en stimulant les électrons de divers atomes pour qu’ils oscillent à l’unisson. Lorsque cela se produit, les électrons passent à un état de faible énergie et libèrent une lumière cohérente de longueur d’onde et de phase uniformes. Le faisceau de lumière est ensuite acheminé entre des miroirs à l’intérieur du dispositif pour le concentrer et l’amplifier jusqu’à obtenir un faisceau laser.
Comme les photons interagissent difficilement les uns avec les autres, l’idée est de soigneusement contrôler deux particules de lumière (appelées dimères photoniques) à la fois afin de les utiliser par paires pour, en fin de compte, produire un puissant faisceau laser uniforme. C’est là que la partie « quantique » du système devient essentielle. Lorsque les photons sont intriqués, leurs états quantiques sont liés et s’influencent instantanément, même séparés par des milliers de kilomètres. L’intrication quantique, initialement soulignée par Einstein, Podolsky et Rosen en 1935 comme un paradoxe (EPR) pour critiquer la mécanique quantique, a été largement confirmée par des expériences, notamment celles d’Alain Aspect dans les années 1980, qui ont validé les phénomènes de non-localité et la violation des inégalités de Bell (et qui lui ont valu le prix Nobel de physique en 2022). Depuis, des expériences démontrant l’intrication quantique sur des distances de plus en plus grandes ont été réalisées.
« Les photons codent des informations lorsqu’ils voyagent, mais le voyage dans l’atmosphère leur est très préjudiciable », déclare Shen. « Lorsque deux photons sont liés quantiquement, ils subissent toujours les effets de l’atmosphère, mais ils peuvent se protéger mutuellement afin que certaines informations de phase puissent être préservées », a-t-il ajouté.
Au-delà du secteur de la défense
Comment intriquer deux protons étant donné qu’ils n’ont pas de charge ? Shen a trouvé la solution lors de ses expériences : lier des photons de longueurs d’onde distinctes. Les particules de lumière intriquées ont par la suite présenté le comportement d’un photon bleu, ce qui permettait de les modifier simultanément tout en conservant un fonctionnement homogène du laser. Shen et son équipe prévoient maintenant de concevoir un laser dimère photonique quantique capable de gérer divers états quantiques à une vitesse d’un million de paires (de photons) par seconde. Concrètement, cela signifie que le laser, malgré des conditions météorologiques défavorables, pourrait maintenir sa précision et sa puissance.
L’intrication quantique pour les lasers ne se limite pas au secteur de la défense. En effet, en 2020, l’entreprise philanthropique Chan Zuckerberg a octroyé plus de 1 800 000 euros à des projets de recherche visant à améliorer l’imagerie médicale par le biais de technologies optiques quantiques innovantes. « Nous essayons d’exploiter la propriété de l’intrication pour créer quelque chose d’innovant. L’enchevêtrement peut faire beaucoup de choses dont nous ne pouvons que rêver – ce n’est que la pointe de l’iceberg », conclut Shen.