Tout comme nous utilisons des médicaments pour traiter nos problèmes de peau, les animaux trouvent eux des remèdes dans la nature. Ainsi, les grands dauphins sauvages de l’Indo-Pacifique ont été observés dans des environnements naturels en train de se frotter contre des coraux et des éponges sélectionnés, dans le nord de la mer Rouge égyptienne. Les chercheurs ont montré que ces invertébrés marins ont des propriétés médicinales contre les problèmes de peau des dauphins, car ils contiennent des métabolites bioactifs. Le frottement répété permet à ces métabolites actifs d’entrer en contact avec la peau des dauphins, ce qui pourrait aussi leur être utile contre les infections microbiennes, à titre de prévention ou de traitement.
« Je n’avais jamais vu ce comportement de frottement contre le corail décrit auparavant, et il est clair que les dauphins savent exactement quel corail ils veulent utiliser », explique dans un communiqué Angela Ziltener, biologiste de la faune à l’université de Zürich (Suisse) et co-auteure de l’étude. « Je me suis dit qu’il devait y avoir une raison ». La chercheuse et son équipe avaient déjà observé ce comportement de frottement il y a treize ans, mais il leur a fallu du temps pour pouvoir l’étudier de près, en gagnant la confiance des dauphins.
Une utilisation sélective des coraux et des éponges
Dans la nature, le frottement sur des substrats distincts fait partie du comportement classique de contact physique chez les cétacés, mais il n’avait été observé que chez les orques et les bélugas jusqu’à présent. Les grands dauphins soumis à l’étude se frottent répétitivement contre trois invertébrés marins distincts : la gorgone (Rumphella aggregata), le corail cuir (Sarcophyton sp.) et l’éponge (Ircinia sp.). Chaque invertébré est utilisé de manière sélective pour une partie du corps en particulier, car la texture de chaque substrat est unique.
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Par le passé, des espèces similaires de gorgone étaient déjà connues pour produire des métabolites secondaires antimicrobiens et cytotoxiques, et le corail cuir et l’éponge pour contenir des métabolites bioactifs. C’est la raison pour laquelle les chercheurs de la nouvelle étude se sont basés sur l’hypothèse de l’automédication de ces invertébrés contre les agents pathogènes responsables de maladies dermiques.
Depuis 2009, environ 360 grands dauphins indo-pacifiques dans le nord de la mer Rouge ont été étudiés par une équipe de recherche, à l’aide d’une combinaison unique d’enquêtes en bateau et sous-marines par plongée. Ziltener et son équipe ont constaté que lorsque les grands dauphins de l’Indo-Pacifique se sont frottés contre les invertébrés, ils agitaient de minuscules polypes, et que les substrats libéraient du mucus. Par ailleurs, lorsqu’ils étaient en groupe, les dauphins ont été observés en train de « faire la queue » pour atteindre le remède naturel.
« Sur la gorgone, les dauphins se glissent dans les branches du corail et répètent souvent ce comportement, de sorte que plusieurs parties du corps sont frottées », écrivent les auteurs de l’étude. « Lors du frottement, les polypes de la gorgone commencent à sécréter du mucus et à se fermer, et le mucus sécrété par les coraux peut alors être transféré sur la peau du dauphin. Les coraux et les éponges en cuir sont plus compacts et plus durs dans leur texture que les branches molles des gorgones, de sorte que les dauphins enfoncent fortement une partie isolée de leur corps dans les substrats ». Par exemple, le dauphin frotte la partie ventrale, latérale ou dorsale de son corps sur le corail en cuir.
17 métabolites actifs contre les maladies de peau et les infections microbiennes
Pour comprendre les propriétés du mucus, les chercheurs ont prélevé des échantillons de corail et ont trouvé 17 métabolites actifs ayant des activités antibactériennes, antioxydantes, hormonales et toxiques. « Ces métabolites pourraient les aider à atteindre l’homéostasie de la peau et être utiles pour la prophylaxie [la prévention] ou le traitement auxiliaire contre les infections microbiennes », explique le co-auteur Gertrud Morlock, chimiste analytique et spécialiste de l’alimentation à l’université Justus Liebig de Giessen en Allemagne. Afin de recueillir des informations sur l’activité des composés et de les identifier, les scientifiques se sont appuyés sur la science de la séparation et la spectrométrie de masse à haute résolution sur une seule surface absorbante.
Si l’étude fournit des preuves de l’utilisation d’invertébrés pour l’automédication des dauphins, le volume des échantillons d’invertébrés reste limité. En outre, elle appelle à de nouvelles recherches sur l’interaction vertébrés-invertébrés dans les récifs coralliens et sur l’importance des efforts de conservation de cet habitat important pour la vie marine. En effet, l’industrie du tourisme (comme la nage avec les dauphins) peut perturber les habitudes des dauphins évoluant dans leur état naturel.