Des scientifiques ont découvert un groupe de gènes qui pourrait fournir des éléments de réponse à la question que bon nombre de neurologistes et éthologistes se posent : Pourquoi la taille du cerveau humain a-t-elle triplé par rapport à nos ancêtres les primates ?
Trois gènes homologues, c’est-à-dire qui sont descendants d’un même gène répliqué plusieurs fois durant l’évolution, auraient joué un rôle important dans l’impressionnant développement du cerveau humain. Une équipe de chercheurs a mis en évidence leur implication dans la très nette augmentation du nombre de cellules nerveuses ainsi que dans leur bon fonctionnement.
Ce trio, ainsi que le gène dont ils descendent, formaient jusqu’à ce qui a été découvert grâce à ces recherches, un unique gène, NOTCH2NL, nommé ainsi car il ressemble aux autres gènes de la famille des NOTCH, hautement conservé dans un grand nombre d’espèces animales, et impliqué dans la régulation des gènes durant le stade embryonnaire.
Cependant, des études ont démontré que NOTCH2NL est constitué de quatre gènes distincts, dont trois seraient le fruit d’une série de réplications accidentelles de sa version originale chez les humains.
Un groupe de l’université de Californie a développé dans des tubes, des organoïdes de cerveaux de macaque et d’humain en développement, et ils ont remarqué que les gènes NOTCH ne fonctionnaient pas de la même manière entre les deux espèces. Mais ils ont constaté un autre facteur qui en était potentiellement la raison : NOTCH2NL était présent uniquement dans les organoïdes humains. Ils ont par la suite effectué d’autres analyses génétiques sur d’autres hominoïdes, et ont remarqué chez eux aussi l’absence de NOTCH2NL.
Les chercheurs ont donc émis l’hypothèse que la présence exclusive de ce gène chez les humains pourrait avoir joué un rôle dans leur évolution.
En comparant les séquences proches de NOTCH2NL dans le génome des humains et des singes, ils ont pu retracer l’histoire évolutive de ce groupe de gènes. Ils ont conclu qu’il y a environ 14 millions d’années, le gène original NOTCH2 a été dupliqué par erreur et de manière incomplète, rendant la copie dysfonctionnelle, mais qu’environ 11 millions d’années plus tard, la partie manquante s’est insérée dans cette copie, lui permettant ainsi de s’exprimer de manière correcte.
« Cet événement marque la naissance du gène NOTCH2NL », déclare Franck Jacobs, co-auteur de la publication et généticien à l’université d’Amsterdam. Plus important encore, la correction de ce gène s’est produite peu avant la période où le cerveau des ancêtres des humains s’est développé.
NOTCH2NL s’est par la suite dupliqué trois fois sur le même chromosome, pour finalement avoir un total de 3 copies actives, et une autre inactive. Les réplications de gènes peuvent représenter un avantage évolutif, car pendant qu’une des copies assure le rôle qu’elle doit avoir, les autres peuvent accomplir d’autres tâches.
Un scientifique de l’université de Bruxelles a aussi découvert qu’en stimulant l’activité des gènes NOTCH2NL dans des cultures de tissus du cerveau, ces derniers produisaient beaucoup plus de cellules souches.
Après avoir remarqué que NOTCH2NL était particulièrement actif dans les cellules d’un cerveau de fœtus, un groupe de neurobiologistes de l’institut Max Planck à Dresde, a inséré ce gène dans le tissu cérébral d’un embryon de souris. Ils ont aussi constaté une plus grande prolifération des cellules souches.
Ces résultats suggèrent que la différentiation des cellules souches est retardée par NOTCH2NL, afin qu’elles puissent continuer à se multiplier davantage.
Le mécanisme moléculaire de la protéine exprimée par NOTCH2NL a été décrit par le groupe de Bruxelles. Il semblerait qu’elle bloque une voie de signalisation permettant la différentiation des cellules souches, afin de leur laisser davantage de temps pour se répliquer, et ainsi obtenir un plus grand nombre de neurones.
Un autre fait important a été constaté par le groupe de l’Université de Californie : les trois copies NOTCH2NL fonctionnelles se situent toutes dans une région du génome humain impliqué dans la schizophrénie, l’autisme, et les syndrome du retard du développement.
Souvent, les gènes qui se sont déjà dupliqués ont tendance à recommencer, augmentant les chances qu’ils subissent des mutations durant la réplication. « Ces gènes semblent jouer un rôle important dans le développement du cortex cérébral, et des dérégulations peuvent conduire à des maladies », déclare Greg Wray, spécialiste de l’évolution développementale.
Ce dernier pense par ailleurs que ce groupe de gènes n’a pas eu qu’un seul rôle durant l’évolution, car la région chromosomique dans laquelle il se situe est très complexe et difficile à séquencer, il reste encore beaucoup d’éléments à comprendre. Mais pourrait-il y avoir des interactions avec d’autres séquences dans la région ?
Néanmoins, cette découverte pourrait permettre de mieux comprendre les mécanismes qui conduisent à un dérèglement du développement cérébral, et ainsi mettre en évidence les causes de certains autres troubles cognitifs.