Les perles sont des concrétions calcaires fabriquées par certains mollusques (la plupart du temps, des huîtres dites perlières). Elles se forment lorsqu’un objet irritant (un grain de sable ou autre débris) se retrouve piégé dans la coquille : l’animal se protège en entourant cet objet de fines couches d’aragonite (nacre) successives. Chose surprenante : peu importe la forme de l’objet au départ, chaque nouvelle couche recouvre la première de manière précise, aboutissant à la formation d’une perle parfaitement ronde et lisse, et très résistante. Des chercheurs dévoilent dans une nouvelle étude les secrets de fabrication de cette merveille de la nature.
L’Homme s’est inspiré de nombreuses fois de la nature pour inventer de nouvelles technologies. De la même façon, les mécanismes naturels qui sont à l’origine de la formation des perles — des structures durables affichant un niveau de symétrie qui surpasse tout ce qui existe dans la nature — pourraient conduire au développement de futurs nanomatériaux haute performance. C’est pourquoi une équipe de chercheurs s’est penchée sur ce processus fascinant, afin de comprendre comment les mollusques pouvaient atteindre une telle perfection à partir d’un objet difforme.
Ils ont découvert que tout repose sur un juste équilibre entre deux capacités de base : non seulement le mollusque est capable de corriger les irrégularités qui apparaissent à mesure que la perle se forme (pour éviter que ces imperfections minimes ne se répercutent et ne s’amplifient à chaque nouvelle couche de nacre), mais il fait aussi en sorte d’adapter l’épaisseur de chaque couche en fonction de la couche précédente. Grâce à cette modulation constante, le mollusque maintient une épaisseur moyenne similaire sur l’ensemble des centaines de couches qu’il va déposer, de manière à obtenir une perle parfaitement ronde et uniforme. Un vrai travail d’orfèvre…
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Une autocorrection qui remédie au désordre et aux défauts
Pour examiner de près le processus de fabrication des perles, les chercheurs ont étudié des perles Keshi (d’environ 3 millimètres de diamètre), collectées dans des huîtres perlières d’Akoya (Pinctada imbricata fucata), dans une ferme perlière côtière de l’est de l’Australie. Ils ont ensuite découpé ces perles en fines sections transversales, à l’aide d’une scie à fil diamanté, avant d’en examiner la structure par spectroscopie Raman. L’une des perles étudiées, présentée dans leur article publié dans la revue PNAS, comportait pas moins de 2615 couches de nacre, déposées en 548 jours !
Leurs analyses ont révélé que la symétrie d’une perle devient de plus en plus précise au fur et à mesure qu’elle se construit, le désordre en son centre devenant peu à peu une sorte de perfection. « Nous, les humains, malgré tout notre accès à la technologie, ne pouvons pas créer quelque chose à l’échelle nanométrique doté d’une architecture aussi complexe que celle d’une perle », a déclaré Robert Hovden, professeur adjoint de science et d’ingénierie des matériaux à l’Université du Michigan et co-auteur de la recherche.
« Ces humbles créatures fabriquent un matériau super léger et super résistant tellement plus facilement et mieux que nous ! », souligne Laura Otter, biogéochimiste à l’Université nationale australienne de Canberra. Composée uniquement de calcium, de carbonate et de protéines, la nacre est 3000 fois plus résistante que les matériaux qui la composent !
Les couches de nacre représentent plus de 90% du volume d’une perle. L’équipe a observé qu’elles devenaient progressivement plus minces et plus étroitement assorties à mesure qu’elles s’étendaient vers l’extérieur à partir du centre. Si une couche est plus épaisse, la suivante a tendance à être plus fine, et vice versa. « Il y a une interaction entre chaque couche, et nous supposons que cette interaction est ce qui permet au système de se corriger au fur et à mesure », explique Hovden.
Une analyse mathématique des couches de la perle a permis de déterminer la nature et le fonctionnement de cette interaction. Il est apparu que ces couches suivent un phénomène connu sous le nom de « bruit rose » ou « bruit 1/f », dans lequel une série d’événements qui semblent aléatoires sont en réalité connectés, chaque nouvel événement (ici, le dépôt d’une nouvelle couche de nacre) étant influencé par celui qui le précède. Ce phénomène est très courant dans les systèmes biologiques, physiques et économiques ; il est présent par exemple dans certaines séries de données météorologiques, dans le rythme cardiaque humain, dans l’activité neuronale, dans les ondes gravitationnelles ou encore dans les systèmes financiers.
Un processus inspirant pour de futurs super-matériaux
« Lorsque vous lancez un dé, par exemple, chaque lancer est complètement indépendant et déconnecté de tous les autres lancers. Mais le bruit 1/f est différent dans le sens où chaque événement est lié », explique Hovden. Ainsi, le bruit 1/f permet à une perle d’évoluer vers l’ordre et la précision : chaque perturbation dans une couche entraîne une perturbation opposée dans la couche suivante. L’équipe note toutefois que cet ordre n’est pas maintenu sur le long terme : les perles présentent un ordre de moyenne portée et maintiennent la symétrie pour une vingtaine de couches à la fois. Mais c’est a priori suffisant pour maintenir la cohérence et la durabilité des milliers de couches qui composent une perle.
« Les mollusques trouvent un équilibre entre la préservation de la symétrie translationnelle et la minimisation de la variation d’épaisseur des couches, en créant un paracristal avec un ordre à moyenne échelle », résument les chercheurs dans leur article. Ils espèrent à présent que leurs résultats aideront à concevoir de nouveaux matériaux dotés d’une architecture nanométrique à couches précise. Ces futurs super-matériaux pourraient notamment être utilisés dans des panneaux solaires plus économes en énergie ou à bord d’engins spatiaux.
« Lorsque nous construisons quelque chose, comme un immeuble en briques, nous pouvons intégrer la périodicité par une planification, des mesures et des modèles minutieux. Les mollusques peuvent obtenir des résultats similaires à l’échelle nanométrique en utilisant une stratégie différente. Nous avons donc beaucoup à apprendre d’eux », conclut Hodven.