Des scientifiques du National Institute of Standards and Technology (NIST) ont découvert un nouveau cristal « semi-métallique », doté de propriétés magnétiques uniques. Ce magnétisme est généré par la structure électronique tout à fait particulière de ce cristal. Le phénomène pourrait être exploité pour développer de nouveaux dispositifs de stockage d’informations plus rapides et plus robustes.
Le matériau nouvellement découvert, un cristal de NdAlSi, est un semi-métal de Weyl ; il conduit l’électricité, mais les électrons qui y circulent se comportent comme des particules sans masse, dont le magnétisme est lié à la direction de leur mouvement. Dans d’autres matériaux, ces électrons — aussi appelés fermions de Weyl — ont suscité de nouveaux comportements liés à la conductivité électrique. Mais dans ce cas précis, les électrons induisent la formation spontanée d’une spirale magnétique.
Cette découverte révèle une relation complexe et jamais observée jusqu’alors entre le matériau, les électrons qui le traversent sous forme de courant et le magnétisme du matériau. « Notre expérience illustre une forme unique de magnétisme qui peut provenir des électrons de Weyl », a déclaré Collin Broholm, physicien à l’Université Johns Hopkins, qui a dirigé les travaux expérimentaux au NIST Center for Neutron Research (NCNR).
Une propriété due au « verrouillage » des spins électroniques
Le nouveau matériau étudié par l’équipe est un « semi-métal », composé de silicium, d’aluminium et de néodyme. Ensemble, ces trois éléments forment un cristal, dans lequel les atomes sont ordonnés selon un motif répétitif régulier. Cependant, ce cristal se distingue des autres du fait qu’il brise la symétrie d’inversion, ce qui signifie que le motif répété est différent d’un côté et de l’autre de chaque cellule unitaire du cristal — soit le plus petit élément constitutif du réseau cristallin. Cet arrangement atypique stabilise les électrons circulant à travers le cristal, qui à leur tour entraînent un comportement inhabituel dans son magnétisme.
Une propriété spéciale de l’électron de Weyl est le verrouillage de sa direction de spin. En effet, dans la plupart des matériaux conducteurs d’électricité, tels qu’un fil de cuivre, les spins des électrons qui traversent le fil pointent dans des directions aléatoires. Mais dans ce semi-métal dont la symétrie est brisée, les électrons se comportent comme des électrons de Weyl, dont les spins sont soit parallèles soit antiparallèles à la direction de leur mouvement (comme représenté par les petites flèches vertes sur l’illustration).
C’est ce verrouillage des spins des électrons de Weyl dans leur direction de mouvement qui est à l’origine du comportement magnétique rare de ce semi-métal, car les atomes de néodyme sont sensibles à l’influence des électrons de Weyl. Les trois types d’atomes qui composent le cristal conduisent tous l’électricité, constituant ainsi « des tremplins » aux électrons lorsqu’ils passent d’un atome à l’autre, mais seuls les atomes de néodyme présentent du magnétisme.
Comme illustré ci-dessus, à mesure que les électrons se déplacent le long des quatre atomes de néodyme, les spins de ces atomes se réorientent en une « spirale de spin », pointant successivement dans quatre directions différentes. « Une façon simplifiée de l’imaginer est que le premier atome Nd pointe à 12 heures, puis le suivant à 4 heures, puis le troisième à 8 heures. Ensuite, le motif se répète », explique Collin Broholm. Des lignes d’atomes de néodyme s’étendent à travers de nombreuses couches du cristal, offrant de nombreux exemples de ce motif magnétique inhabituel.
Vers une alternative aux disques durs magnétiques
Chaque boucle de cette spirale de spin mesure environ 150 nanomètres de long, et les spirales n’apparaissent qu’à des températures extrêmement froides, inférieures à 7 K (-266°C environ) — soit des conditions peu favorables à des applications pratiques du phénomène. Toutefois, selon Broholm, il existe des matériaux aux propriétés physiques similaires, fonctionnant à température ambiante, qui pourraient être exploités pour créer des dispositifs de mémoire magnétique efficaces.
Le fonctionnement des disques durs magnétiques actuels repose sur la création d’un champ magnétique. Ces disques sont composés d’une pile de plateaux rigides (en aluminium ou en verre) recouverts d’un film magnétique, sur lesquels les têtes d’écriture et de lecture stockent et lisent les données ; ces têtes, composées d’une bobine de cuivre et de deux pôles magnétiques, sont capables de générer un champ magnétique venant polariser le film magnétique apposé sur la surface du disque. Les matériaux semi-métalliques évoqués ici permettraient justement de s’affranchir de champ magnétique. « Avec cette classe de matériaux, vous pouvez stocker des informations sans avoir besoin d’appliquer ou de détecter un champ magnétique. Lire et écrire l’information électriquement est plus rapide et plus robuste », explique Jonathan Gaudet.
Comprendre les effets des électrons de Weyl pourrait également permettre de mieux saisir les propriétés de certains matériaux, que les physiciens peinent à expliquer. « Nous avons créé de nombreuses structures magnétiques que nous ne comprenons pas immédiatement. Ayant vu le caractère particulier du magnétisme à médiation de Weyl, nous pourrions enfin être en mesure de comprendre et d’utiliser ces structures magnétiques exotiques », a déclaré Broholm, ajoutant que ses confrères et lui avaient peut-être déjà créé sans le savoir des matériaux aux caractéristiques de spin inédites.