Les astronomes se demandent depuis longtemps d’où viennent les rayons cosmiques de haute énergie détectés dans notre galaxie. De nouvelles observations, réalisées au High Altitude Water Cherenkov Experiment (HAWC), suggèrent aujourd’hui que ces rayons proviendraient en réalité d’un nuage moléculaire géant.
Le rayonnement cosmique est défini comme étant un flux de noyaux atomiques et de particules de haute énergie (protons, neutrons, électrons, noyaux d’hélium, etc.). Ces particules sont produites par des processus de haute énergie, tels que des explosions de supernovas ou des fusions d’étoiles ; elles traversent l’Univers à une vitesse avoisinant celle de la lumière.
Certaines de ces particules ont une énergie supérieure à 1020 électrons-volts (à titre de comparaison, le collisionneur de hadrons, le collisionneur de particules le plus puissant sur Terre, peut atteindre une énergie de 13.1012 eV, soit 13 TeV). Au-dessus de 1015 eV, les rayons cosmiques se font soudainement extrêmement rares ; par conséquent, les astronomes en ont déduit que ces rayons de très haute énergie provenaient de l’extérieur de la galaxie. Notre voie lactée serait ainsi le siège de rayons cosmiques de 1015 eV maximum (soit de l’ordre du péta-électron-volt, noté PeV).
Des sources repérées en détectant les rayons gamma
Les spécialistes tentent de trouver les sources des rayons cosmiques de notre galaxie. Mais la tâche est difficile : ces rayons sont constitués de particules chargées, qui sont maintes fois déviées par les champs magnétiques galactiques au cours de leur voyage à travers l’espace interstellaire. Ainsi, lorsqu’un rayon cosmique de haute énergie semble provenir d’une direction particulière dans le ciel, on ne peut pas déterminer d’où il vient réellement ; il a pu suivre une trajectoire très changeante au cours de son voyage vers la Terre.
Par conséquent, au lieu de rechercher directement les rayons cosmiques, les experts se focalisent sur certains événements collatéraux. En effet, lorsque ces rayons heurtent accidentellement un nuage de gaz interstellaire, ils peuvent émettre des rayons gamma, une forme de rayonnement à haute énergie ; or, ces rayons gamma traversent la galaxie en ligne droite, ce qui permet de localiser précisément leur origine. Ainsi à partir de la détection d’une source de forte émission de rayons gamma, les scientifiques peuvent rechercher plus facilement des sources proches de rayons cosmiques de l’ordre du PeV.
C’est la méthode qu’a employée récemment une équipe d’astrophysiciens, à l’aide du High Altitude Water Cherenkov Experiment (HAWC), un observatoire de rayons gamma et de rayons cosmiques de très haute énergie, localisé sur le Pic d’Orizaba, au Mexique. Le HAWC est constitué d’un ensemble de 300 réservoirs d’eau purifiée (de 7 mètres de diamètre pour 4 mètres de profondeur). Lorsqu’un rayon gamma interagit avec un atome de l’atmosphère terrestre, cela provoque une cascade électromagnétique produisant des millions de particules chargées se déplaçant à grande vitesse.
Ces particules chargées peuvent alors pénétrer dans l’un des réservoirs du HAWC, en émettant un rayonnement de couleur bleue, qui résulte de l’onde de choc produite par les particules se déplaçant dans l’eau à une vitesse supérieure à celle de la lumière (ce que l’on appelle effet Cerenkov) ; le flash de lumière bleue issu du phénomène est ensuite détecté par des tubes photomultiplicateurs situés dans le réservoir. Les astronomes peuvent alors retracer la source du rayonnement dans le ciel. De cette manière, ils ont détecté une source de rayons gamma dépassant 200 TeV ! Cette source ne pouvait être créée que par des rayons cosmiques encore plus puissants.
Des rayons provenant d’un gigantesque nuage de poussière
La source identifiée, baptisée HAWC J1825-134, se trouve à peu près dans la direction du centre galactique. Elle apparaît comme une tache brillante, éclairée par une source inconnue de rayons cosmiques, peut-être la plus puissante de la Voie lactée estiment les scientifiques. D’autres sources habituelles, situées à quelques milliers d’années-lumière de HAWC J1825-134, ont été envisagées comme candidates probables ; mais finalement, aucune des sources connues ne coïncide avec le signal détecté.
Le centre de la galaxie lui-même est un générateur connu de rayons cosmiques intenses, mais il est bien trop éloigné de HAWC J1825-134, donc il n’a aucune incidence sur la mesure relevée. De même, toutes les supernovas situées dans la région de HAWC J1825-134 ont explosé il y a des siècles, soit depuis bien trop longtemps pour créer ces rayons cosmiques de haute énergie détectés aujourd’hui seulement. Les pulsars (des noyaux résiduels d’étoiles massives) sont connus eux aussi pour produire de grandes quantités de rayons cosmiques ; mais là encore, ils sont trop éloignés de la source des rayons gamma (les énergies des électrons et des protons qu’ils émettent ne sont pas assez élevées pour parcourir cette distance).
Ainsi, contre toute attente, la source de ces intenses rayons cosmiques semble n’être autre qu’un nuage moléculaire géant. Composés de poussières et de gaz, ces immenses nuages parcourent la galaxie ; il arrive que certains se contractent sur eux-mêmes pour se transformer en étoiles, tandis que d’autres peuvent demeurer ainsi pendant des milliards d’années. Les scientifiques étaient loin de se douter de trouver des énergies si élevées au sein d’un tel amas de poussières ; même les germes d’étoiles qui s’y trouvent ne sont pas considérés comme suffisamment puissants pour émettre des rayons cosmiques si intenses. Les chercheurs à l’origine de cette découverte admettent qu’ils ne savent pas comment ce nuage peut émettre un tel rayonnement. Mais il s’avère qu’il a bel et bien généré certaines des particules les plus puissantes de toute la galaxie !