Des chercheurs ont découvert un écosystème de lagons unique en plein désert d’Atacama (au Chili), sur un plateau situé à 3660 mètres d’altitude. Ses eaux cristallines abritent des complexes microbiens étonnamment proches des stromatolithes Archéens, ayant vécu il y a 3,5 milliards d’années. Cette étonnante découverte pourrait offrir de nouveaux indices sur l’apparition de la vie sur Terre et potentiellement sur d’autres corps planétaires.
En avril 2022, des chercheurs de l’Université du Colorado à Boulder étaient en expédition dans le nord-ouest de l’Argentine lorsqu’ils ont constaté d’étranges taches sur des images satellites. Ces dernières se situaient dans la région de Puna dans le désert d’Atacama, à quelques dizaines de kilomètres d’un minuscule village de 35 habitants. En allant sur le terrain, les experts ont découvert qu’il s’agissait d’un vaste réseau de 12 lagons s’étendant sur 10 hectares, entouré de hautes montagnes désertiques et de plaines salées.
Le désert d’Atacama est connu pour être l’une des régions les plus arides de la planète. Les conditions y sont si extrêmes que presque aucune plante ou aucun animal n’y réside. Cependant, les formations vallonnées visibles sous la surface des eaux cristallines des lagons pullulaient de vie, malgré le manque d’oxygène et le fort rayonnement solaire. La zone est en effet située sur un plateau, à 3660 mètres d’altitude, où le rayonnement solaire est particulièrement intense.
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Les experts ont découvert que les structures en question étaient en réalité des stromatolithes très différents de leurs homologues modernes. Ils seraient davantage similaires à ceux ayant existé durant l’Archéen, il y a 3,5 milliards d’années. « Cette lagune pourrait être l’un des meilleurs exemples modernes des premiers signes de vie sur Terre », explique dans un communiqué Brian Hynek, de l’Université du Colorado Boulder, qui a dirigé l’expédition. « Cela ne ressemble à rien de ce que j’ai déjà vu ou, vraiment, à tout ce qu’un scientifique n’ait jamais vu », ajoute-t-il. La découverte a été présentée le 11 décembre dernier à l’occasion de la dernière réunion de l’American Geophysical Union, à San Francisco.
Un risque de disparition d’ici quelques années
Les stromatolithes sont des formations abritant des communautés microbiennes complexes, formant des monticules rocheux au fil de leur croissance — un peu comme les coraux formant les récifs. Ces formations rocheuses peuvent évoluer selon deux modèles de croissance. Le premier implique le piégeage mécanique par couches successives de minéraux, sur la surface du mucilage visqueux que forme le tapis de bactéries. Le second implique la précipitation biochimique des minéraux induite par la photosynthèse. La couche minéralisée sert de nouveau substrat pour de nouvelles couches bactériennes, qui peuvent à leur tour se minéraliser. Dans les deux cas, les structures résultantes sont formées de couches concentriques alternant les phases minérales et les phases microbiologiques.
Les stromatolithes modernes existant aujourd’hui dans certaines zones côtières ou d’eau douce sont relativement petits et se développent passivement en piégeant des grains de sable et d’autres matériaux présents dans la mer. En revanche, les stromatolithes fossilisés de l’Archéen pouvaient atteindre près de 6 mètres de haut. De plus, ils extrayaient de manière active le calcium et le C02 de l’eau environnante, pour précipiter les minéraux.
Les stromatolithes d’Atacama seraient les écosystèmes vivants se rapprochant le plus de ces complexes primitifs. Ils font jusqu’à 4,6 mètres de diamètre et contiennent du gypse, un minéral commun à ceux de l’Archéen et rarement retrouvé dans les stromatolithes modernes. D’un point de vue biologique, ils sont constitués d’une couche externe verdâtre composée de cyanobactéries photosynthétiques. L’intérieur des roches est en revanche d’un brun rosâtre, tapissé d’archées, des organismes unicellulaires couramment retrouvés dans des environnements extrêmes sur Terre.
Bien que cela ne soit pas encore confirmé, les experts suggèrent que la minéralisation des stromatolithes d’Atacama s’effectue également de manière active, à l’instar des stromatolithes de l’archéen. En outre, la salinité et l’acidité de l’eau des lagons, la rareté de l’oxygène et le niveau de radiation solaire, suggèrent que cet environnement pourrait être similaire à celui de la Terre primitive et peut-être à celui de Mars il y a des milliards d’années.
« Comprendre ces communautés modernes sur Terre pourrait nous informer sur ce que nous devrions rechercher lorsque nous recherchons des caractéristiques similaires dans les roches martiennes », explique Hynek. En effet, « si la vie a un jour évolué sur Mars au niveau des fossiles, cela se serait probablement déroulé comme ça », estime-t-il.
Hynek et ses collègues espèrent pouvoir mener d’autres expériences pour confirmer leur hypothèse de minéralisation active et explorer plus avant l’écologie du complexe microbien. Malheureusement, le temps est compté, car la zone est déjà louée par une compagnie étrangère pour l’extraction de lithium. Le forage pourrait perturber cet écosystème unique de manière irréversible et pourrait même finir par l’annihiler d’ici quelques années seulement. « Nous espérons pouvoir protéger certains de ces sites, ou au moins détailler ce qui s’y trouve avant qu’il ne disparaisse ou ne soit perturbé à jamais », espère Hynek.