Depuis quelques années, l’on sait que derrière l’apparente simplicité de l’anémone de mer (Nematostella vectensis) se cache en réalité une fascinante complexité. Apparemment immortelle, elle aurait développé le secret de la jeunesse éternelle au cours de ses millions d’années d’évolution, en s’immunisant contre le vieillissement. Cependant, les mécanismes biologiques régissant cette incroyable capacité restent partiellement incompris. Une nouvelle étude parue dans la revue Cell Reports a peut-être décrypté le phénomène, en découvrant des gènes hautement conservés qui garantissent la différenciation neuronale tout au long de la vie de l’animal.
Au cours des millions d’années d’évolution, la plupart des organismes vivants sur Terre sont passés d’organismes unicellulaires à pluricellulaires complexes, dotés de milliards de cellules. Chez les animaux, ces cellules se sont regroupées et différenciées en différentes catégories, afin de former des tissus fonctionnels dans différents organes. Et bien que Nematostella vectensis ne soit qu’un petit invertébré marin en forme de cylindre doté de tentacules, son génome serait presque aussi complexe que celui de l’homme, autant en nombre de gènes (environ 20 000) que d’organisation.
Cette similitude en matière de complexité fait de cette espèce d’anémone un modèle particulièrement intéressant pour les recherches génomiques. N. vectensis, appartenant à la branche des cnidaires, se serait en effet distinguée des bilatériens il y a plus de 600 millions d’années. Cette biologie évolutive lui a conféré un système nerveux étonnamment complexe, ne comptant pas moins d’une trentaine de types de neurones distincts.
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La façon dont les différents types cellulaires maintiennent un équilibre optimal et coordonné pour assurer toutes les fonctions d’un organisme entier, est encore majoritairement incomprise. « L’anémone peut donc aussi nous aider à comprendre l’origine et l’évolution des multiples types cellulaires qui constituent les corps et organes des animaux, et notamment leur système nerveux », expliquait en 2018 Heather Marlow pour Radio-Canada, chercheuse à l’Institut Pasteur.
Dans la nouvelle étude menée par des chercheurs de l’Université de Vienne, le séquençage du génome de N. vectensis a montré que cette espèce utilise les mêmes groupes de gènes lors de la différenciation des cellules neuronales que des organismes beaucoup plus complexes (dont l’homme). Ces gènes, conservés depuis le stade embryonnaire jusqu’à l’âge adulte, seraient également responsables du maintien de l’équilibre entre toutes les cellules de l’anémone, tout au long de sa vie.
Un renouvellement à volonté des neurones
Le séquençage génomique de la nouvelle étude tente de décrypter la diversité et l’évolution de tous les types de cellules nerveuses et glandulaires chez l’anémone, par le biais de la transcriptomique (technique permettant une analyse quantitative des ARN) unicellulaire. Cette technique permet notamment de séquencer le génome d’un organisme entier grâce aux gènes exprimés individuellement par chaque cellule, ces dernières différant fondamentalement selon leurs fonctions ou leurs processus de différenciation.
« La transcriptomique unicellulaire peut être utilisée pour déterminer l’empreinte moléculaire de chaque cellule individuelle », explique dans un communiqué Julia Steger, auteure principale de la nouvelle étude et chercheuse au département de neurosciences et de biologie développementale de l’Université de Vienne. Les cellules dont les empreintes génétiques présentent des similitudes ont ensuite été regroupées, de sorte à permettre de distinguer des types définis de cellules à différents stades de leur développement. Les populations communes de cellules progénitrices et souches ont également pu être identifiées.
De façon étonnante, les chercheurs ont découvert que contrairement aux hypothèses antérieures, les neurones et les cellules glandulaires, ainsi que d’autres cellules sensorielles, proviendraient d’une même population progénitrice chez l’anémone. Comme certaines cellules glandulaires dotées de capacité neuronale sont également retrouvées chez la plupart des vertébrés, cette découverte pourrait indiquer une relation évolutive primitive entre ces deux groupes de cellules a priori différentes.
De plus, les chercheurs ont découvert que chez l’anémone, un gène particulier, appelé SoxC, joue un rôle fondamental dans le développement de cette population progénitrice commune, et est exprimé dans toutes les cellules précurseures des neurones, des cellules glandulaires et des cnidocytes. « Fait intéressant, ce gène n’est pas étranger : il joue également un rôle important dans la formation du système nerveux chez l’homme et de nombreux autres animaux, ce qui, avec d’autres données, montre que ces mécanismes de régulation clés de la différenciation des cellules nerveuses semblent être conservés à travers le règne animal », indique Ulrich Technau, co-auteur de la nouvelle étude et également chercheur à l’Université de Vienne.
Par ailleurs, en comparant ces cellules à différents stades de la vie de l’anémone, les chercheurs ont constaté que ces gènes induisant les processus de différenciation neuronale étaient conservés du stade embryonnaire à l’âge adulte. Contrairement à l’homme et à d’autres vertébrés, le minuscule animal serait ainsi capable de renouveler ses neurones à volonté, et ce durant toute sa vie.
Ces découvertes complètent des recherches antérieures étudiant les réponses de N. vectensis au stress environnemental, l’un des principaux facteurs susceptibles d’induire le vieillissement cellulaire chez la plupart des êtres vivants. Naturellement, ces cnidaires vivent notamment dans des habitats subissant des dégradations anthropiques intenses, indiquant qu’ils peuvent survivre à un stress intense.