En effectuant un contrôle de routine sur le R/V Blue Heron, un navire de recherche universitaire dédié à l’étude des Grands Lacs américains, des chercheurs ont découvert une étrange substance sombre et gluante suintant le long du tronc du gouvernail. Les analyses en laboratoire ont montré qu’il s’agissait d’une forme de vie microbienne jusqu’ici inconnue, qui prospérait dans la niche écologique unique du gouvernail du navire.
Construit en 1985 en tant que navire de pêche et initialement baptisé Fairty, le R/V Blue Heron a été acquis par l’Université du Minnesota à Duluth (UMD) en 1997 pour être converti en navire de recherche océanique et limnologique — un champ d’étude centré sur les eaux continentales. Déployé en 1998, il est exploité par l’Observatoire des Grands Lacs (LLO) de l’Université du Minnesota et constitue aujourd’hui l’un des rares navires spécifiquement consacrés à l’étude des Grands Lacs américains.
Lors de sa conversion, le navire a été entièrement réaménagé et équipé d’instruments de recherche de pointe, tels que des échantillonneurs d’eau et de sédiment, des capteurs, ainsi que des dispositifs de balayage radar et sonar. Sa capacité a également été renforcée pour accueillir jusqu’à onze membres d’équipage.
Depuis son déploiement, le R/V Blue Heron et des navires similaires ont contribué à l’étude de niches hydroécologiques caractéristiques, notamment dans des environnements lacustres et continentaux tels que les sources chaudes. Cela a permis de découvrir des formes de vie dans des milieux inattendus. En revanche, les environnements avec lesquels l’homme interagit quotidiennement — navires, bâtiments — restent largement inexplorés du point de vue microbiologique.
En septembre de l’année dernière, le R/V Blue Heron a quitté le lac Érié pour rejoindre le chantier naval des Grands Lacs de Cleveland, où un contrôle de routine et la réparation d’une hélice défectueuse devaient être réalisés. C’est à cette occasion que chercheurs et équipes de maintenance ont remarqué une substance goudronneuse suintant le long du manche du gouvernail.
Après avoir confié un échantillon de la substance aux biologistes de l’UMD et du LLO et demandé : « Vous pensez pouvoir en faire quelque chose ? », Doug Ricketts, directeur du LLO, ne s’attendait probablement pas à découvrir une nouvelle espèce. Alors que les navires comme le R/V *Blue Heron* explorent les environnements les plus extrêmes à la recherche de nouvelles formes de vie, c’est la première fois qu’un tel organisme est découvert à bord même de l’embarcation.
« La plus grande surprise a été de constater que la substance visqueuse contenait de la vie », explique Cody Sheik, le chercheur principal, dans un communiqué de l’UMD. « Nous pensions ne rien trouver. Mais, étonnamment, nous avons trouvé de l’ADN, et il n’était pas trop détruit, ni trop pauvre en biomasse », ajoute-t-il. L’équipe de recherche a provisoirement baptisé le nouvel organisme « ShipGoo001 », en référence à son étrange consistance et au lieu improbable de sa découverte.

Une niche écologique spécifique et inattendue
La substance visqueuse analysée par les biologistes contenait une forme de vie microbienne jusqu’à présent non répertoriée. Ce constat a été confirmé grâce au séquençage de son ADN et à sa comparaison avec les bases de données génétiques mondiales. Les micro-organismes semblent prospérer dans les conditions particulières du tronc du gouvernail : un environnement relativement chaud, stable, dépourvu d’oxygène, dans lequel la graisse de lubrification a permis la formation d’une niche écologique spécifique.
Alors que le navire naviguait dans des eaux riches en oxygène, le ShipGoo001 ne semble survivre que dans un milieu qui en est dépourvu. En outre, son absence lors d’un précédent contrôle de maintenance en 2021 est encore plus intrigante. Selon les chercheurs, l’organisme aurait pu rester en dormance dans l’huile de graissage du gouvernail, en attendant des conditions plus favorables à sa croissance et à sa prolifération.
Bien que davantage de recherches soient nécessaires pour en comprendre le fonctionnement, les nouveaux micro-organismes semblent appartenir à un réseau trophique complexe, contribuant peut-être à la biocorrosion du manche métallique du gouvernail. Ils présentent également des similitudes avec d’autres micro-organismes découverts dans des fosses à goudron et des puits de pétrole, ce qui suggère que ce type de microbes pourrait être plus répandu qu’on ne le supposait.

Des applications pratiques potentielles
Au-delà de la découverte d’une nouvelle espèce, celle-ci pourrait avoir des applications concrètes. D’après l’équipe de biologistes, le ShipGoo001 semble produire du méthane, un gaz potentiellement exploitable pour la production de biocarburants. La découverte souligne aussi l’intérêt de l’exploration scientifique, et rappelle qu’il ne faut pas sous-estimer les environnements communs.
« Les scientifiques n’ont pas souvent le temps de s’amuser ; nous sommes concentrés et avons des projets à mener à bien », confie Cody Sheik. « Le temps et les ressources consacrés aux travaux d’exploration peuvent être décourageants. Mais cela montre pourquoi c’est important », poursuit-il.
La prochaine étape de recherche consistera à étudier plus en profondeur le comportement de l’espèce dans son environnement et à explorer ses processus métaboliques. Conformément au protocole scientifique standard, les chercheurs prévoient également de publier les résultats du séquençage de son génome. L’équipe envisage en outre une collaboration avec la communauté scientifique pour lui attribuer un nom officiel.