L’espérance de vie humaine pourrait-elle à terme atteindre 150 ans ou plus ? Une récente découverte réalisée par des chercheurs américains laisse entrevoir cette possibilité. En étudiant des mouches du vinaigre, ils ont identifié un processus cellulaire universel capable de modifier la production de protéines dans des cellules jouant un rôle important dans le vieillissement. Cette découverte promet non seulement de comprendre comment influencer le processus de vieillissement d’un point de vue cellulaire, mais aussi d’offrir une compréhension approfondie de certains mécanismes liés au cancer.
En juillet de cette année, des chercheurs de l’Imperial College de Londres, en collaboration avec une équipe de la Duke-NUS Medical School de Singapour, ont étudié le rôle de la protéine interleukine-11 dans le vieillissement. Leurs résultats ont montré que l’inhibition de cette protéine inflammatoire ralentissait le processus de vieillissement chez les souris.
Plus récemment, dans le cadre d’une nouvelle étude sur des mouches du vinaigre, des chercheurs de l’UC Merced en Californie ont découvert une autre protéine qui pourrait potentiellement prolonger la durée de vie humaine. La mouche du vinaigre, ou Drosophila melanogaster, est fréquemment utilisée dans les expériences scientifiques comme « organisme modèle », tout comme la souris. Le génome de la drosophile étant bien connu, il est plus facile de modifier sa structure génétique dans un objectif de recherche. C’est précisément ce qu’a entrepris le professeur Fred Wolf du département de biologie moléculaire et cellulaire de l’UC Merced, avec son équipe.
La nouvelle étude révèle un mécanisme permettant aux cellules de réguler la quantité de protéines qu’elles produisent en ajustant la traduction de l’ARN en protéines. « Ce mécanisme pourrait être responsable des changements dans la production de protéines en cas de stress, de cancer et de vieillissement », a déclaré Wolf dans un communiqué de l’UC Merced. Le laboratoire de Wolf se concentre principalement sur l’étude des circuits cérébraux et des gènes influençant le comportement animal. Dans leurs expériences, Wolf et son équipe utilisent souvent des drosophiles.
Aux côtés de Wolf, l’auteur principal de l’étude, Vishva Dixit, vice-président et chercheur en chimie physiologique et en biologie pour la société de biotechnologie Genentech, souhaitait en apprendre davantage sur la protéine OTUD6 (une déubiquitinase de la classe des tumeurs ovariennes, OTU). Il a sollicité l’expertise de Wolf en génétique de la drosophile pour analyser la fonction de l’OTUD6 en créant des mouches portant des mutations de ce gène.
L’implication d’OTUD6 dans le stress
Dès le début du projet, les chercheurs s’attendaient à des changements notables chez les drosophiles portant une version modifiée du gène de l’OTUD6, notamment des changements physiques ou des troubles de reproduction. Cependant, à leur grande surprise, les mouches semblaient normales. L’équipe a donc exploré l’implication d’OTUD6 dans la résilience au stress et a étudié presque toutes les protéines interagissant avec OTUD6.
En s’appuyant sur les résultats obtenus, publiés dans la revue Nature Communications, les chercheurs ont expliqué qu’OTUD6 interagit génétiquement notamment avec la protéine 40S RACK1 et les ligases d’ubiquitine E3 CNOT4 et RNF10 pour définir la sensibilité au stress. L’OTUD6 régule aussi le niveau de monoubiquitination de RPS7, ce qui permet aux cellules de produire plus de protéines.
Le document précise que « la protéine OTUD6 est elle-même régulée par différentes conditions physiologiques et facteurs de stress pour diminuer le niveau de monoubiquitination de RPS7 et augmenter le niveau de traduction des protéines ». « Nous avons soumis les mouches à divers stress et découvert qu’elles étaient sensibles au stress chimique, comme le stress oxydatif », a expliqué Wolf.
« Nous avons été surpris de constater qu’OTUD6 affecte autant la quantité de protéines produites dans les cellules », poursuit Wolf. L’équipe a également constaté que les mouches porteuses de la mutation OTUD6 vivaient deux fois plus longtemps. « On sait que la quantité de protéines produites dans les cellules affecte la longévité des animaux, une production moindre de protéines étant corrélée à une durée de vie plus longue », a ajouté Wolf.
L’OTUD6 et la croissance des cellules cancéreuses
Dans de nombreuses formes de cancers humains, les niveaux d’OTUD6 sont plus élevés. Bien que les chercheurs n’aient pas encore pu établir de lien direct, ils estiment que l’augmentation des niveaux d’OTUD6 joue un rôle dans la croissance et la prolifération des cellules cancéreuses.
Selon l’équipe, cette découverte pourrait révéler une nouvelle façon pour les cellules de contrôler la quantité de protéines produites. « On sait depuis des années que les cellules disposent de deux autres moyens pour réguler activement la quantité de protéines produites, et nous pensons avoir découvert un troisième moyen », explique Wolf.
Actuellement, les chercheurs continuent d’étudier comment les cellules régulent la quantité d’OTUD6. Cela pourrait conduire à de nouvelles approches pour les traitements contre le cancer et pourrait influencer les méthodes de création de protéines susceptibles d’augmenter la longévité. Si dans un futur utopique les résultats de cette étude étaient reproduits sur l’Homme, l’espérance de vie moyenne pourrait doubler, passant de 80 à 160 ans.