Le 16 décembre 2020, une capsule renfermant des échantillons de sol lunaire, prélevés par la sonde chinoise Chang’e 5, atterrissait en Mongolie-Intérieure. Ces échantillons ont été examinés avec attention par les scientifiques. L’Administration spatiale chinoise et l’Autorité chinoise de l’énergie atomique viennent d’annoncer la découverte d’un tout nouveau minéral, qu’ils nomment Changesite-(Y). C’est la première fois que la Chine découvre un minéral inédit sur notre satellite.
Grâce à la mission Chang’e 5, la Chine est devenue le troisième pays (après les États-Unis et l’ancienne Union Soviétique) à rapporter des échantillons lunaires sur Terre. Aucun matériau lunaire n’avait été rapporté depuis 1976 ! C’est donc avec intérêt et une grande minutie que les scientifiques chinois ont analysé les quelque 1700 grammes de régolithe collectés dans la région du Mons Rümker. Ils annoncent aujourd’hui avoir détecté un nouveau minéral — le sixième découvert sur la Lune.
Selon l’agence de presse Xinhua, ce nouveau minéral est une sorte de cristal colonnaire transparent et incolore. Il a été découvert à partir d’une analyse de particules de basalte lunaire par une équipe de recherche de l’Institut de recherche en géologie de l’uranium de Pékin, une filiale de la China National Nuclear Corporation. Cette découverte fait de la Chine le troisième pays au monde à avoir découvert un nouveau minéral sur la Lune, a déclaré Dong Baotong, directeur adjoint de l’Autorité chinoise de l’énergie atomique.
Un pas de plus vers l’exploitation de l’hélium 3 lunaire
Le Changesite-(Y), présent dans l’échantillon sous forme d’une unique particule d’un rayon de 10 micromètres environ, a été officiellement approuvé comme nouveau minéral par la Commission des nouveaux minéraux, de la nomenclature et de la classification de l’Association minéralogique internationale.
Mais la mission Chang’e 5 a permis d’obtenir une autre donnée cruciale : les échantillons ont permis d’estimer la concentration d’hélium 3 contenu dans la poussière lunaire et de définir ses paramètres d’extraction. Or, l’hélium 3 est un combustible potentiel prometteur pour la fusion nucléaire. La réaction de fusion nucléaire « privilégiée » est normalement initiée avec deux isotopes de l’hydrogène, le deutérium et le tritium. Ce dernier comporte un proton et deux neutrons ; il se désintègre en hélium 3, en émettant un rayonnement bêta de faible énergie et un antineutrino électronique.
Le noyau d’hélium 3 comporte quant à lui deux protons et un seul neutron (c’est le seul isotope stable connu d’un élément qui a plus de protons que de neutrons). Une réaction de fusion entre le deutérium et l’hélium 3 produit de l’hélium 4 et un proton ; elle permet de libérer en théorie 164,3 mégawatts-heures d’énergie par gramme d’hélium 3, précise New Atlas. L’avantage de cette réaction est que ni l’hélium 3 ni les produits de la réaction ne sont radioactifs (contrairement à la réaction deutérium-tritium, où les neutrons produits peuvent rendre radioactifs les matériaux du réacteur).
Si cette réaction n’est à ce jour pas envisagée par les réacteurs à fusion expérimentaux, c’est qu’elle nécessite des températures encore plus élevées qu’un réacteur au tritium (environ 600 millions de degrés !), sans compter que l’hélium 3 est extrêmement rare et difficile à isoler sur Terre (dans l’atmosphère, il est présent à d’infimes concentrations de l’ordre de 7 parties par billion). L’hélium 3 provient aujourd’hui essentiellement de la désintégration du tritium, qui lui-même est fabriqué dans un réacteur à fission nucléaire. Sur la Lune, en revanche, il est beaucoup plus abondant : selon les estimations, les réserves lunaires d’hélium 3 s’élèveraient à 1,1 million de tonnes métriques.
Une ressource précieuse, mais difficilement exploitable
Selon l’International Policy Digest, cela représente des ressources d’une valeur d’environ 1,5 quadrillion de dollars (sans compter l’augmentation du prix inhérente à l’usage de l’hélium 3 dans les futurs réacteurs à fusion) ! Pour Ouyang Ziyuan, responsable du programme chinois d’exploration lunaire, ces ressources constituent « une opportunité d’énergie de fusion transformationnelle » : « Chaque année, trois missions de la navette spatiale pourraient apporter suffisamment de carburant pour tous les êtres humains de la planète », avait-il déclaré au milieu des années 2000.
Une ressource certes intéressante, mais la construction d’une installation minière lunaire engendrerait des coûts considérables, sans compter l’organisation du retour sur Terre de l’hélium 3 récolté… Les concentrations les plus élevées d’hélium 3 dans le sol lunaire sont estimées à environ 50 parties par milliard, il faudrait donc traiter 150 tonnes de régolithe pour récolter un seul gramme de cet isotope ! À noter que la Chine n’a pas communiqué les concentrations exactes découvertes dans ses échantillons.
Les coûts de l’extraction du précieux isotope ne semblent pas freiner les ambitions de la Chine, qui est fermement décidée à se positionner au plus tôt dans le secteur. Comme le souligne l’International Policy Digest, elle est la seule à cartographier les gisements d’hélium 3 sur la face cachée de la Lune. « Si la Chine devait obtenir le monopole de l’hélium 3 disponible sur la Lune, elle deviendrait la première puissance économique sur Terre », résume le magazine.
Après l’annonce de la découverte, l’Agence spatiale chinoise a d’ailleurs confirmé les trois prochaines missions lunaires du programme d’exploration Chang’e dans les 10 ans à venir. La mission Chang’e 6, dont le lancement est prévu pour 2024, doit récupérer des échantillons de la face cachée de la Lune ; les missions suivantes serviront à explorer le pôle Sud lunaire et à poser les bases d’une station internationale de recherche lunaire.