En effectuant des expériences avec le plus grand laser à rayon X au monde, des chercheurs ont identifié une nouvelle phase de la glace d’eau qui se forme à température ambiante sous une pression extrême. Baptisée « glace XXI », elle se forme en surcomprimant rapidement l’eau liquide et possède une structure cristalline tétragonale qui la distingue des autres phases. Ses conditions de formation suggèrent qu’elle pourrait exister à l’intérieur des lunes glacées du système solaire.
Bien que l’eau soit composée de seulement deux éléments (l’hydrogène et l’oxygène), elle présente une complexité remarquable à l’état solide. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il existe plus de 20 phases différentes de glace d’eau, la plupart, comme la glace I (la plus connue), se formant à basse température.
Cette diversité de phases résulte des changements dans la configuration des réseaux de liaisons hydrogène lors de la cristallisation de l’eau. Les interactions entre les atomes et l’augmentation de la densité moléculaire du réseau varient en fonction des plages de température et de pression.
Ces différentes phases de la glace d’eau et leurs voies de formation et de transition intéressent particulièrement les physiciens. Certaines se forment notamment dans des conditions extrêmes, ce qui suscite un vif intérêt chez les planétologues. Dans cette optique, une équipe internationale dirigée par l’Institut coréen de recherche sur les normes et les sciences (KRISS) a identifié une nouvelle phase de la glace d’eau en étudiant les transitions de la glace VI à température ambiante et sous haute pression.
« La structure de cristallisation de l’H₂O liquide dépend de son degré de surcompression », explique dans un communiqué de l’European XFEL (European X-Ray Free-Electron Laser Facility) Geun Woo Lee, chercheur au KRISS et co-auteur de l’étude. « Nos résultats suggèrent l’existence d’un plus grand nombre de phases de glace métastables à haute température et des voies de transition associées, ce qui pourrait offrir de nouvelles perspectives sur la composition des lunes glacées », ajoute Rachel Husband, chercheuse au Deutsches Elektronen-Synchrotron (DESY), en Allemagne, également impliquée dans la recherche.
Une caméra à rayons X pour saisir l’instant de la cristallisation
La glace VI constitue une phase particulièrement intrigante, car sa structure fortement déformée pourrait permettre des transitions complexes menant à d’autres phases de glace métastables (qui ne sont pas stables mais qui le semblent en apparence, en raison de leur transition très lente vers un état stable). Les physiciens estiment qu’elle pourrait se former à l’intérieur de lunes glacées comme Titan (l’un des satellites naturels de Saturne) et Ganymède (l’un des satellites naturels de Jupiter).
L’équipe à l’origine de cette nouvelle étude a exploré les phases de la glace VI en utilisant le XFEL, le plus grand laser à rayon X au monde, ainsi que le projecteur de photons à haute énergie Petra III du DESY. Pour créer la glace, les chercheurs ont généré des conditions de haute pression grâce à des cellules à enclume de diamant. L’échantillon (l’eau) était placé entre deux plaques de diamant, dont la dureté permet de produire des pressions très élevées. Pour initier la transition de l’eau, elle a été soumise à des pressions allant jusqu’à deux gigapascals, soit près de 20 000 fois supérieure à la pression atmosphérique terrestre.
Pour examiner en détail les transitions de phase, les chercheurs ont généré cette pression en dix millisecondes, avant de la relâcher progressivement sur une échelle de temps d’une seconde. Ce processus a été réalisé à l’aide d’un entraînement piézoélectrique, exploitant la capacité de certains matériaux à se dilater ou se contracter sous l’effet d’un champ électrique.

Des impulsions de rayons X ont été projetées par le XFEL pour capturer des images de l’échantillon toutes les microsecondes. Le système fonctionnait comme une caméra à grande vitesse, enregistrant les plus subtiles variations dans la structure des molécules d’eau. Cette méthode a permis aux chercheurs d’identifier au moins cinq voies distinctes de congélation-fusion de la glace VI à température ambiante.
La nouvelle phase, la glace XXI, a été observée juste avant que la VI ne se forme complètement. « Grâce aux impulsions de rayons X uniques du XFEL européen, nous avons découvert de multiples voies de cristallisation dans l’eau, laquelle a été rapidement comprimée et décomprimée plus de 1 000 fois grâce à une cellule dynamique à enclumes de diamant », explique Lee. « La compression rapide de l’eau lui permet de rester liquide jusqu’à des pressions plus élevées, où elle aurait déjà dû cristalliser en glace VI », ajoute-t-il.
D’après les résultats détaillés dans la revue Nature Materials, les faisceaux de PETRA III ont permis d’identifier une structure cristalline tétragonale unique constituée d’unités répétitives étonnamment grandes, dites « cellules unitaires ». Autrement dit, sa structure diffère radicalement de celles de toutes les phases de glace observées jusqu’ici.
D’autre part, comme elle se forme lorsque l’eau est rapidement comprimée en eau surcomprimée à température ambiante et qu’elle est métastable, cela suggère que d’autres phases pourraient encore exister avant d’atteindre un état stable. En d’autres termes, la glace XXI ne pourrait être que l’une des nombreuses étapes intermédiaires possibles vers la phase de glace VI.