Étudié depuis plusieurs années pour ses étonnantes propriétés, le graphène ne cesse de surprendre les scientifiques en révélant continuellement de nouvelles caractéristiques physiques. Récemment, une équipe de physiciens a mis en évidence l’existence de nouveaux états quantiques liés à l’empilement 2D du graphène. Une découverte qui pourrait amener à la création de nouveaux circuits électroniques plus efficaces.
Lors d’une nouvelle expérience, des physiciens américains ont découvert que lorsque le graphène est assemblé en un empilement vertical à double couche — avec deux feuilles adjacentes du matériau qui se touchent presque — cette proximité produit des états quantiques jamais observés auparavant. Ces états nouvellement mesurés, résultant d’interactions complexes d’électrons entre les deux couches de graphène, sont des exemples de l’effet Hall quantique fractionnaire. L’étude a été publiée dans la revue Nature Physics.
« Les résultats montrent que l’empilement de matériaux 2D comprimés génère une physique entièrement nouvelle » explique le physicien Jia Li de l’Université Brown. « En matière d’ingénierie des matériaux, ces travaux montrent que ces systèmes en couches pourraient être viables pour la création de nouveaux types de dispositifs électroniques tirant parti de ces nouveaux états quantiques de Hall ».
Graphène et effet Hall quantique fractionnaire
L’origine de cette nouvelle découverte remonte à 140 ans environ, lorsque les scientifiques ont découvert ce que l’on appelle désormais l’effet Hall : la façon dont la tension peut être déviée par la présence d’un champ magnétique. Cette tension dite de Hall s’étend dans la direction transversale en raison de l’effet Hall, qui est amplifié si le champ magnétique appliqué devient plus fort.
Environ un siècle plus tard, les physiciens ont observé un phénomène apparenté, l’effet Hall quantique, observé dans les systèmes électroniques bidimensionnels, notamment des nanomatériaux 2D développés plus récemment, tel que le graphène. Dans la version quantique de l’effet, il a été constaté que l’amplification de l’effet Hall en raison de champs magnétiques plus puissants ne constituait pas une augmentation linéaire et régulière : la conductivité de l’effet Hall était quantifiée, discrète.
Des expériences ultérieures ont révélé que certains de ces phénomènes pouvaient être expliqués par des nombres fractionnaires — l’effet Hall quantique fractionnaire (FQHE). L’équipe de Li a maintenant observé de nouveaux types de FQHE dans leur étude.
« Une fois encore, l’incroyable polyvalence du graphène nous a permis de repousser les limites des structures de dispositifs au-delà de ce qui était auparavant possible » déclare le physicien Cory Dean de l’Université Columbia. « La précision et la facilité de mise au point de ces appareils nous permettent maintenant d’explorer tout un domaine de la physique que l’on pensait totalement inaccessible ».
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Dans l’expérience, les deux couches de graphène ont été séparées par une fine couche de nitrure de bore hexagonal, insérée pour servir de barrière isolante. Le dispositif était également entouré de nitrure de bore hexagonal et connecté à des électrodes en graphite. En soumettant cet assemblage à des champs magnétiques extrêmement puissants, des millions de fois plus puissants que le champ magnétique terrestre, l’équipe a observé des états FQHE jamais vus auparavant, qui diffèrent surtout dans la manière dont les électrons interagissaient entre les couches de graphène.
De nouveaux états quantiques du graphène non expliqués par les modèles actuels
Bien que ces états intrigants soient nouveaux pour la science, ils semblent s’accorder en grande partie à notre compréhension actuelle des quasi-particules appelées fermions composites — un phénomène découvert pour la première fois dans les recherches sur le FQHE. Mais les nouvelles découvertes suggèrent que ces fermions composites (FC) pourraient être plus complexes que prévus.
« En plus des fermions composites intercouches, nous avons observé d’autres caractéristiques qui ne peuvent pas être expliquées dans le modèle actuel des fermions composites » explique le physicien Qianhui Shi de l’Université Columbia. « Une étude plus minutieuse a révélé que, à notre grande surprise, ces nouveaux états résultent de l’appariement de fermions composites ».
Bien qu’un long travail attende encore les physiciens, l’équipe a expliqué qu’ils « interprétaient ces états comme résultant d’interactions de couplage résiduel entre les FC, ce qui représente un nouveau type d’état fondamental corrélé unique aux structures à double couche de graphène, et non décrit par le modèle classique des FC ».