Découverte de plus de 1 700 espèces de virus anciennes dans un glacier

Les populations virales montrent une plus grande diversité pendant les périodes de réchauffement climatique.

genome viraux glacier tibet
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En collectant des échantillons dans le glacier de Guliya, au Tibet, des chercheurs ont mis au jour les génomes préservés de 1 705 espèces de virus, dont les plus anciennes remontent à 41 000 ans. La diversité des populations virales augmenterait considérablement pendant les périodes de réchauffement. Cette découverte suggère une étroite corrélation entre l’évolution des écosystèmes microbiens et les changements climatiques à grande échelle.

Les glaciers constituent des archives paléoclimatiques majeures en accumulant et préservant des centaines de milliers d’années de données. Une équipe d’experts de l’Université d’État de l’Ohio et de l’Université du Nebraska ont suggéré que les virus conservés dans les glaciers pourraient offrir des détails inédits sur l’évolution du climat et des écosystèmes au fil du temps.

En effet, les microbes ont joué des rôles essentiels dans l’évolution des écosystèmes en régulant la diversité et l’évolution adaptative des autres espèces. Cela s’effectue par exemple par le biais de pressions de sélection (l’évolution des espèces lorsqu’elles sont soumises à des contraintes environnementales) ou de transferts de gènes par le biais de virus. Les microorganismes peuvent également moduler le métabolisme écologique d’un écosystème, c’est-à-dire les concentrations de composés absorbés et produits (comme le CO2), ainsi que la vitesse dont ces processus sont effectués.

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« Parmi ces archives de glaciers se trouvent des virus qui ont potentiellement joué des rôles écologiques clés dans le passé avant de geler », écrivent les chercheurs de leur nouvelle étude, publiée dans la revue Nature Geoscience. Cependant, la relation entre les changements dans la diversité des écosystèmes viraux et les changements climatiques passés est très peu explorée, à la fois en raison de limitations techniques et de la rareté des données.

Les carottes de glace ne contiennent en effet que de très faibles proportions de biomasse, sans compter les difficultés liées à leur collecte sur le terrain. D’autre part, la microbiologie des glaciers est un domaine d’étude relativement récent et généralement considéré comme risqué en raison de la libération d’agents pathogènes potentiellement néfastes. Cela limite considérablement l’accès au financement pour la recherche et les expéditions scientifiques.

Or, « ce type de données est tout simplement fondamental pour répondre à toutes les questions sur l’apparence de la Terre auparavant », explique Matthew B. Sullivan de l’Université d’État de l’Ohio, coauteur principal de l’étude, à Popular Science. D’un autre côté, le forage de glace préhistorique représenterait peu de risque sur la santé humaine, car les anciens virus ont probablement infecté des organismes procaryotes (bactéries et archées) plutôt que ceux plus complexes. Sullivan et ses collègues se sont alors concentrés sur ces virus afin d’étudier le lien entre leur évolution et celle du cycle climatique terrestre.

Une plus grande diversité pendant les périodes de réchauffement climatique

Les échantillons de la nouvelle étude ont été prélevés dans le glacier de Guliya, dans l’extrême nord-ouest du plateau tibétain. Son extrémité basse étant située à 6 000 mètres d’altitude, ce glacier est considéré comme l’une des archives les plus riches pour étudier les changements paléoclimatiques à grande échelle. L’expédition a nécessité une équipe d’environ 60 personnes qui a travaillé pendant plus de deux mois pour prélever les carottes et les transporter à dos de yaks. Chaque animal a transporté (en plusieurs trajets) environ 12 mètres de segments de glace, dont certains prélevés juste au-dessus du substrat rocheux du glacier, à 310 mètres de profondeur.

En analysant les carottes en laboratoire à l’aide de techniques de séquençage avancées, les chercheurs ont isolé les génomes de 1 705 espèces virales, les plus anciennes remontant à 41 000 ans et les plus récentes datant de seulement 160 ans. Cela représente 50 fois plus de données virales collectées sur des glaciers qu’auparavant.

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Échantillonnage des carottes de glace dans le glacier de Guliya. © Zhi-Ping Zhong et al.

La majorité des virus (plus de 70 %) n’ont jusqu’ici jamais été répertoriés et sont endémiques au glacier, tandis qu’environ un quart d’entre eux existent dans d’autres régions du monde. « Cela signifie que certains d’entre eux ont potentiellement été transportés depuis des régions comme le Moyen-Orient ou même l’Arctique », suggère dans un article de blog de l’Université d’État de l’Ohio, Zhi-Ping Zhong, auteur principal de l’étude.

En analysant la diversité des génomes, les experts ont constaté que la composition des populations virales est différente selon les conditions climatiques reflétées dans chaque palier de profondeur du glacier. Au cours des périodes froides, les communautés virales semblent revenir à une composition relativement stable et similaire, tandis que leur diversité augmente considérablement au cours des périodes de réchauffement.

La population la plus diversifiée et la plus spécifique date d’il y a environ 11 500 ans, ce qui coïncide avec la période de transition majeure entre la dernière ère glaciaire et l’Holocène. Il s’agit de la période de réchauffement climatique la plus spectaculaire survenue au cours des 41 000 années étudiées. Ces données suggèrent que l’évolution des virus est profondément influencée par les changements climatiques.

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Biogéographie des virus de Guliya. © Zhi-Ping Zhong et al.

Une adaptation influençant la capacité de survie des hôtes

Une analyse plus approfondie a permis de déterminer que cette adaptation climatique semble aussi influencer la capacité des hôtes des virus à survivre ou à s’adapter à leur tour aux conditions environnementales changeantes. En effet, les virus du glacier de Guliya doivent « voler » des gènes à leurs hôtes afin de manipuler leur métabolisme. Certains de ces gènes sont abondants dans tous les intervalles de temps étudiés, suggérant ainsi une amélioration de la capacité virale au cours du temps.

Ces résultats suggèrent que les virus n’infectent pas seulement leurs hôtes, mais altèrent également leur morphologie, influençant ainsi leur capacité à survivre dans des conditions extrêmes. Selon les experts, ces données pourraient améliorer notre compréhension de l’évolution des virus en fonction des changements environnementaux majeurs et de modéliser comment ceux modernes pourraient réagir en vue du réchauffement climatique actuel. Toutefois, davantage de recherches sont nécessaires avant de confirmer ces résultats et potentiellement les intégrer aux modèles climatiques et écosystémiques. Le groupe de recherche est déjà en route pour collecter d’autres échantillons dans ce sens dans le glacier de Guliya.

Source : Nature Geoscience

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