En juillet 1945 a eu lieu le tout premier essai nucléaire, appelé Trinity, sur le champ de tir d’Alamogordo au Nouveau-Mexique. Ce que les chercheurs n’avaient pas directement imaginé, c’est qu’un tel événement nucléaire pouvait produire des matériaux rares issus de l’explosion et des processus chimiques extrêmes engendrés. C’est ainsi que la trinitite rouge s’est formée, issue de la vitrification du sable du désert s’étant lié aux différents éléments de la structure sur laquelle reposait la bombe et de la bombe elle-même. Récemment, des chercheurs ont découvert qu’un morceau de trinitite sur le lieu d’essai avait pris la forme d’un quasi-cristal rare.
En même temps que le sable environnant a fondu lors de l’explosion de l’essai Trinity, la tour sur laquelle elle se trouvait et les fils de cuivre qui l’entouraient ont également été vaporisés ou fondus. Ainsi, les températures et les pressions élevées ont contribué à forger une structure inhabituelle à l’intérieur d’un morceau de trinitite, dans un grain d’à peine 10 micromètres de diamètre — un peu plus long qu’un globule rouge, que des chercheurs ont pu récemment découvrir. Ce grain se présente sous une forme rare de matière appelée quasi-cristal, rapportent les scientifiques dans leur rapport publié dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences.
En quoi les quasi-cristaux diffèrent-ils des cristaux « normaux » ? Les cristaux classiques sont constitués d’atomes disposés dans un réseau qui se répète selon un schéma régulier. Les quasi-cristaux quant à eux, ont une structure ordonnée comme un cristal normal, mais qui ne se répète pas. Cela signifie que les quasi-cristaux peuvent avoir des propriétés qui sont dites « interdites » aux cristaux normaux. Découverts pour la première fois en laboratoire dans les années 1980, les quasi-cristaux apparaissent également dans la nature, dans les météorites notamment.
Le plus ancien quasi-cristal connu créé par l’Homme
Le quasi-cristal récemment découvert sur le site d’essai du Nouveau-Mexique est le plus ancien connu fabriqué par l’Homme, issu de la trinitite. « Vous pouvez encore acheter beaucoup de trinitite sur eBay », déclare le géophysicien Terry Wallace, coauteur de l’étude et directeur émérite du laboratoire national de Los Alamos au Nouveau-Mexique.
« Mais, la trinitite étudiée par l’équipe était une variété plus rare, appelée trinitite rouge », explique-t-il. La plupart des trinitites ont une teinte verdâtre, tandis que la trinitite étudiée ici est plutôt rouge, car elle contient du cuivre, des vestiges des fils qui allaient du sol à la bombe. Les quasi-cristaux ont tendance à être trouvés dans des matériaux qui ont subi un impact violent et impliquent généralement des métaux. La trinitite rouge répondait à ces deux critères.
Mais pour confirmer leur hypothèse, les scientifiques ont d’abord dû en trouver… « J’ai cherché pendant des mois de la trinitite rouge », déclare le physicien théoricien Paul Steinhardt de l’université de Princeton. Steinhardt, qui est connu pour ses randonnées en Sibérie à la recherche de quasi-cristaux, ne s’est pas laissé décourager. Puis le minéralogiste Luca Bindi, de l’université de Florence, a obtenu des informations d’un expert en trinitite, qui a commencé à collaborer avec l’équipe.
Un type de symétrie que l’on trouve uniquement dans les quasi-cristaux
Un travail minutieux a alors commencé, Bindi « examinant chaque petite tache microscopique » de l’échantillon de trinitite, explique Steinhardt. Enfin, Bindi a extrait le minuscule grain. En diffusant des rayons X à travers ce dernier, les chercheurs ont révélé que le matériau présentait un type de symétrie que l’on ne trouve que dans les quasi-cristaux.
« Le nouveau quasi-cristal, formé de silicium, de cuivre, de calcium et de fer, est tout nouveau pour la science », déclare le minéralogiste Chi Ma de Caltech, qui n’a pas participé à l’étude. « Il s’agit d’une découverte plutôt cool et passionnante », ajoute-t-il.
Les futures recherches de quasi-cristaux pourraient porter sur d’autres matériaux ayant subi des chocs extrêmes, comme ceux situés dans les cratères d’impact ou les fulgurites, des structures fusionnées formées lorsque la foudre frappe le sol. Cette nouvelle étude montre que les artefacts datant de la naissance de l’ère atomique présentent toujours un intérêt scientifique, déclare la spécialiste des matériaux Miriam Hiebert de l’Université du Maryland à College Park, qui a analysé des matériaux provenant d’autres moments cruciaux de l’histoire nucléaire. « Les objets et matériaux historiques ne sont pas de simples curiosités dans les cabinets de collectionneurs, mais peuvent avoir une réelle valeur scientifique ».