Des astronomes ont repéré le trou noir le plus ancien et le plus éloigné connu à ce jour, né 500 millions d’années seulement après le Big Bang, soit lorsque l’Univers n’avait qu’environ 3,5 % de son âge actuel. Faisant 300 millions de fois la masse du Soleil, il est étonnamment massif pour son époque et se situe au centre d’un nouveau type de galaxies appelées « Petits Points Rouges ». Cette découverte éclaire d’un jour nouveau la formation de ces objets énigmatiques dans l’univers primitif.
Dans les années suivant son lancement, le télescope spatial James Webb (JWST) a permis de révéler de nouvelles populations de galaxies et d’autres objets cosmiques jusqu’alors inaccessibles en raison de leur extrême éloignement. Parmi eux figurent les Petits Points Rouges (LRD), des corps très compacts, fortement décalés vers le rouge mais étonnamment lumineux, détectés dans les premières phases de l’univers.
Apparus dans les 1,5 premiers milliards d’années après le Big Bang, leur véritable nature demeurait mystérieuse. Une étude récemment publiée dans l’Astrophysical Journal Letters apporte de nouveaux éléments grâce à une série d’observations visant à identifier des galaxies primitives.
« La découverte des Petits Points Rouges a été une surprise majeure dès les premières données du JWST, car ils ne ressemblaient en rien aux galaxies observées auparavant par le télescope spatial Hubble », explique dans un communiqué Steven L. Finkelstein, chercheur au Département d’astronomie de l’Université du Texas à Austin et co-auteur principal de l’étude. « Nous cherchons maintenant à comprendre leur nature et leur origine », poursuit-il.
Le LRD étudié abrite le trou noir le plus éloigné jamais détecté, situé à 13,3 milliards d’années-lumière (correspondant à un redshift d’environ z ≈ 9). « Lorsque l’on recherche des trous noirs, c’est pratiquement le maximum que l’on puisse remonter. Nous repoussons véritablement les limites de ce que la technologie actuelle permet de détecter », souligne Anthony Taylor, chercheur postdoctoral au Cosmic Frontier Center et auteur principal de l’étude.
Une implication potentielle dans la luminosité des « Petits Points Rouges »
Taylor et son équipe se sont concentrés sur la galaxie CAPERS-LRD-z9, un LRD identifié dans le cadre du programme CANDELS-Area Prism Epoch of Reionization Survey (CAPERS) du JWST. « Le premier objectif de CAPERS est de confirmer et d’étudier les galaxies les plus lointaines », explique Mark Dickinson, coauteur de l’étude et responsable de l’équipe CAPERS. « La spectroscopie JWST est essentielle pour confirmer leurs distances et comprendre leurs propriétés physiques », précise-t-il.
La spectroscopie permet de décomposer la lumière en ses nombreuses longueurs d’onde afin d’analyser les caractéristiques de l’objet source. Dans le cas des trous noirs, la technique consiste à détecter le gaz qui se déplace à grande vitesse à proximité de leur horizon. En orbitant rapidement et en étant aspiré par le trou noir, ce gaz émet de la lumière. La partie qui s’éloigne émet des longueurs d’onde tendant vers le rouge, tandis que celle qui se rapproche de nous émet des longueurs d’onde plus bleues. « Peu d’autres phénomènes produisent une telle signature. Et cette galaxie [CAPERS-LRD-z9] l’a », observe Taylor.
Ces observations renforcent les indices selon lesquels les trous noirs supermassifs seraient responsables de l’intense luminosité des LRD. Habituellement, une telle brillance suggère une abondance d’étoiles dans une galaxie. Or, les LRD se sont formés à une époque où la présence de telles populations stellaires semble improbable. Leur éclat pourrait donc provenir de la matière chauffée et extrêmement énergétique orbitant autour de leur trou noir central.
Par ailleurs, ces données pourraient également expliquer le décalage vers le rouge caractéristique des LRD. Selon les chercheurs, celui-ci serait dû à un épais nuage de poussière entourant le trou noir, qui altère la lumière de son disque d’accrétion en la décalant vers des longueurs d’onde plus rouges. « Nous avons observé de tels nuages dans d’autres galaxies. Et lorsque nous avons comparé cet objet à ces sources, il s’est révélé en être le sosie parfait », affirme Taylor.
Un trou noir incroyablement massif pour l’époque
De surcroît, ce trou noir est d’une masse exceptionnelle pour une époque aussi précoce, atteignant environ 300 millions de masses solaires. Cette masse représenterait près de la moitié de celle de toutes les étoiles de sa galaxie hôte — un rapport inhabituellement élevé, même pour un trou noir supermassif. En effet, si les trous noirs de l’univers local ont eu des milliards d’années pour croître, ceux de l’univers primitif n’avaient en principe pas disposé de suffisamment de temps pour atteindre une telle taille.



D’après Finkelstein, « cela renforce les preuves de plus en plus nombreuses que les premiers trous noirs ont grandi bien plus rapidement que ce que nous pensions. Ou alors, ils étaient initialement beaucoup plus massifs que ne le prévoient nos modèles ». Les chercheurs comptent approfondir l’étude de CAPERS-LRD-z9 à partir de données en haute résolution grâce au JWST, ce qui pourrait éclairer le rôle des trous noirs dans la formation des LRD.
« C’est un objet test exceptionnel pour nous. L’étude de l’évolution des premiers trous noirs ne s’est ouverte que récemment, et nous sommes impatients de découvrir ce que nous pouvons apprendre de ce cas unique », conclut Taylor.