Une équipe d’astronomes a détecté le plus grand jet de trou noir jamais observé dans l’Univers primitif, au cœur d’une galaxie située à environ 12 milliards d’années-lumière de la Terre. S’étendant sur 200 000 années-lumière, il se serait formé lorsque l’Univers avait moins de 1,2 milliard d’années, soit environ 9 % de son âge actuel. Ces nouvelles observations offrent de précieuses informations concernant le moment où ces phénomènes ont commencé à se produire dans le cosmos, ainsi que sur leurs impacts sur l’évolution des galaxies.
Des décennies d’observations cosmologiques ont montré que la plupart des galaxies, y compris la nôtre, comportent un trou noir supermassif en leur centre. Le gaz et la poussière que ces trous noirs accumulent au niveau de leur disque d’accrétion libèrent une immense quantité d’énergie en raison des forces de friction. Cela provoque la formation de noyaux galactiques extrêmement lumineux appelés quasars, qui expulsent périodiquement de gigantesques jets de matière énergétiques.
Les jets de trou noir peuvent être facilement détectés avec les radiotélescopes jusqu’à de grandes distances. Un grand nombre d’entre eux ont été détectés dans l’univers local, tandis qu’une petite fraction a été relevée dans les galaxies proches de la Voie lactée. Cependant, ils sont jusqu’à présent restés insaisissables dans l’Univers primitif, même avec les plus puissants télescopes à rayons X, tels que le télescope spatial Chandra.
La non-détection des jets de trou noir dans l’Univers primitif est due au fond diffus cosmologique, le rayonnement résiduel du Big Bang datant de l’époque où l’Univers était beaucoup plus petit et plus dense qu’aujourd’hui. Ce brouillard omniprésent de rayonnement micro-ondes interagit avec les jets de trou noir et réduit leur luminosité, les rendant ainsi difficiles à détecter avec les télescopes.
Le jet récemment décrit dans The Astrophysical Journal Letters a été identifié pour la première fois en 2022 à l’aide du réseau de radiotélescopes Low Frequency Array (LOFAR), réparti à travers toute l’Europe. Des observations supplémentaires effectuées dans le cadre de la nouvelle étude ont mis en évidence des caractéristiques inédites.
« C’est uniquement parce que cet objet est si extrême que nous pouvons l’observer depuis la Terre, même s’il est très loin », explique dans un communiqué de la NSF NOIRLab, Anniek Gloudemans, auteur principal de l’étude. « Cet objet montre ce que nous pouvons découvrir en combinant la puissance de plusieurs télescopes fonctionnant à différentes longueurs d’onde », ajoute-t-il.
Un quasar étonnamment petit pour un jet aussi extrême
Le jet nouvellement identifié provient du quasar J1601+3102 d’une galaxie située entre 10 et 13 milliards d’années-lumière de la Terre. Le quasar a attiré l’attention des astronomes, car il est si lumineux qu’il éclipse complètement sa galaxie hôte et est nettement plus brillant que près de deux douzaines de ses homologues relevés avec LOFAR. Les données suggèrent que cette luminosité extrême provient d’un jet radio à deux lobes s’étendant sur une très grande distance.
Afin de confirmer ces données, l’équipe de la nouvelle étude a effectué des observations complémentaires dans le proche infrarouge avec le spectrographe spécialisé Gemini (GNIRS). Ce dernier est installé au niveau du télescope Gemini North, la moitié de l’observatoire international Gemini exploité par la NSF NOIRLab. Des observations dans le domaine optique ont également été réalisées avec le télescope Hobby Eberly, permettant ainsi de dresser un profil complet du jet radio et du quasar dont il est à l’origine.
D’autre part, il est essentiel de déterminer les propriétés du quasar (telles que sa masse et la vitesse à laquelle il absorbe de la matière) afin d’en comprendre les mécanismes d’évolution. Pour ce faire, les experts ont recherché les signaux d’émission large MgII (magnésium), une longueur d’onde spécifique de la lumière que les quasars émettent. Ces signaux apparaissent généralement dans la gamme des longueurs d’onde ultraviolettes.
Cependant, pour le cas de J1601+3102, ils parviennent plutôt jusqu’à la Terre dans la gamme de longueurs d’onde proches de l’infrarouge en raison de l’expansion de l’Univers et de sa grande distance. L’expansion de l’Univers « étire » la lumière des quasars vers des longueurs d’onde plus longues. Cela a permis aux signaux magnésium de J1601+3102 d’être détectables avec GNIRS.
Les nouvelles données ont montré que le jet à deux lobes s’étendait sur une distance d’au moins 200 000 années-lumière (soit presque deux fois la largeur de la Voie lactée), ce qui en fait le plus grand jamais observé dans l’Univers primitif. Le lobe nord s’étend jusqu’à 29 358 années-lumière du quasar, tandis que celui du sud atteint 186 954 années-lumière. Cette asymétrie suggère qu’il pourrait être régulé par un environnement extrême.
L’équipe estime qu’il s’est formé lorsque l’Univers n’avait que 9 % de son âge actuel. De façon surprenante, alors que les quasars primitifs ont généralement des masses plusieurs milliards de fois supérieures à celle du Soleil, J1601+3102 est plutôt petit avec seulement 450 millions de masses solaires.
« Il est intéressant de noter que le quasar qui alimente ce jet radio massif n’a pas une masse extrême par rapport aux autres quasars », explique Gloudemans. « Cela semble indiquer qu’il n’est pas forcément nécessaire d’avoir un trou noir ou un taux d’accrétion exceptionnellement massif pour générer des jets aussi puissants dans l’Univers primitif », suggère-t-il.
Les chercheurs ne savent pour l’instant pas pourquoi J1601+3102 diffère des autres quasars ni quels mécanismes sont à l’origine de jets radio aussi puissants. Néanmoins, cette découverte pourrait apporter de nouveaux éléments pour mieux comprendre ces phénomènes.