En effectuant des fouilles dans le gisement fossilifère de Hammerschmiede en Bavière, en Allemagne, des chercheurs ont découvert une nouvelle espèce de grand singe qui aurait vécu en Europe il y a 11,6 millions d’années. Baptisé Buronius manfredschmidi, il ne se nourrissait presque que de feuilles et pesait à peine 10 kilogrammes, ce qui en fait le plus petit grand singe connu à ce jour.
Il y a environ 15 millions d’années, au milieu du Miocène, les hominoïdes (ou grands singes) sont devenus plus abondants en Europe, tandis qu’ils se raréfiaient en Afrique. Cependant, malgré leur abondance, les différents taxons d’hominoïdes ne coexistaient jamais dans la même région ou le même écosystème. Ils pouvaient dans de rares cas coexister avec les Pliopithécoïdes, une superfamille de « singes de l’Ancien Monde » (ou Catarhiniens) qui occupait l’Asie et l’Europe au Miocène. Bien qu’ils étaient autrefois répandus, ils ont rapidement disparu et n’ont pas de descendants vivants. Toutefois, aucune localité en Europe n’a jusqu’à présent abrité plus d’une espèce d’hominoïdes.
D’un autre côté, le site de Hammerschmiede est un gisement fossilifère incroyablement riche. La couche stratigraphique appelée HAM 5 recèle une grande diversité taxonomique allant des plantes aux mollusques, en passant par les mammifères et les oiseaux. Jusqu’à présent, environ 40 000 fossiles de 150 espèces de vertébrés y ont été retrouvés. Il est également célèbre pour avoir abrité les restes datant de 11,6 millions d’années de plusieurs Danuvius guggenmosi, les premiers grands singes bipèdes.
Récemment, des chercheurs de l’Université de Tübingen (en Allemagne) et de l’Université de Toronto (au Canada) ont mis au jour deux dents de primate et une rotule dans le même site. Bien que découverts dans la même couche stratigraphique que D. guggenmosi, ces os seraient trop petits et morphologiquement trop différents pour être attribués au même taxon. Les experts en ont déduit qu’il s’agit d’une toute nouvelle espèce d’hominoïde, qu’ils ont baptisée Buronius manfredschmidi.
Alors qu’on pensait que le site ne faisait pas exception, il aurait ainsi abrité deux taxons d’hominoïdes coexistant dans le même écosystème. « Les conditions de dépôt nous permettent de conclure que les deux singes vivaient simultanément dans le même écosystème », explique dans un communiqué de l’Université de Tübingen Thomas Lechner, l’un des responsables des fouilles.
« Le nouveau grand singe de Hammerschmiede, Buronius manfredschmidi, avec son poids corporel d’environ 10 kg, n’est pas seulement le plus petit grand singe connu, mais atteste également du premier cas de syntopie [espèces trouvées sur un même site géographiquement restreint et à la même période] d’hominoïdes en Europe », ont écrit les chercheurs dans leur document d’étude, publié dans la revue PLOS ONE.
Le plus petit grand singe connu à ce jour
Les fragments de fossiles analysés par les chercheurs incluent deux molaires d’environ 7 millimètres de long et une rotule de 16 centimètres de diamètre. Selon les experts, leurs taillent suggèrent que B. manfredschmidi ne pesait qu’environ 10 kilogrammes, soit un poids comparable aux siamangs, de petits singes apparentés aux gibbons d’Asie du Sud-est. À titre de comparaison, le bonobo (le précédent plus petit grand singe connu) pèse environ 30 kilogrammes, tandis que le gorille (le plus grand singe connu) pèse jusqu’à 200 kilogrammes. Il est également plus petit que D. guggenmosi qui, quant à lui, fait entre 15 et 46 kilogrammes.
En comparant l’épaisseur des émails dentaires des deux hominoïdes, ils ont constaté que celui de B. manfredschmidi est plus fin, ce qui suggère un régime alimentaire à base d’aliments faciles à mâcher, comme des feuilles. Son émail plus fin et plus lisse était notamment comparable à celui des gorilles, qui sont exclusivement végétariens. En revanche, celui de D. guggenmosi est comparable à celui des humains, indiquant qu’ils étaient eux aussi omnivores.
La structure de la rotule de B. manfredschmidi indique par ailleurs qu’il était un excellent grimpeur, à l’instar des singes arboricoles, ce qui concorde avec son régime alimentaire. « La rotule de B. manfredschmidi est plus épaisse et plus asymétrique que celle de Danuvius », explique Madelaine Böhme, auteure principale de l’étude. « Cela pourrait s’expliquer par des différences au niveau des muscles des cuisses. Il est possible que Buronius soit mieux adapté à grimper aux arbres », indique-t-elle.
Bien que coexistant dans la même région, ces caractéristiques suggèrent que Buronius avait un mode vie complètement différent de Danuvius. Selon les chercheurs, ces différences ont probablement permis aux deux espèces de partager le même habitat sans entrer en compétition pour les ressources — à l’instar des gibbons et des orangs-outans actuels, qui partagent le même écosystème à Bornéo et à Sumatra.
Toutefois, des experts commentant l’étude estiment que trois fragments de fossiles ne suffisent pas à affirmer qu’il s’agit réellement d’une nouvelle espèce, sans compter qu’ils ne sont pas suffisamment préservés pour permettre une analyse ADN. Ils pourraient par exemple appartenir à de jeunes Danuvius ou des pliopithécoïdes. Néanmoins, l’hypothèse de la première syntopie d’hominoïdes en Europe encourage à davantage de recherches, ainsi que la réexamination d’autres sites similaires.