Toujours à la recherche de l’origine de l’Univers et de notre système solaire, des astronomes ont confirmé la première détection d’un système stellaire binaire qui formera un jour une kilonova — une explosion productrice d’éléments lourds (or et platine), provoquée par la fusion d’étoiles à neutrons. Ces systèmes sont si rares que les experts estiment qu’il n’en existe qu’une dizaine dans l’ensemble de la Voie lactée.
Une kilonova se produit lorsque deux étoiles à neutrons, qui font partie des objets les plus denses de l’univers, fusionnent. Elle se distingue des supernovæ classiques d’étoiles massives par le fait qu’il y a peu ou pas d’éjecta lors de l’explosion. Elle apparait donc comme une supernova peu lumineuse.
Les scientifiques pensent que ces kilonovae se produisent dans des systèmes binaires massifs après que l’étoile qui explose a perdu sa surface par des interactions avec son compagnon, la dépouillant petit à petit de la matière noire qui la stabilise et assure sa cohésion. Ces supernovæ conduisent à la formation d’une étoile à neutrons sans perte du compagnon binaire, qui lui-même peut également évoluer en une autre étoile à neutrons. La fusion de ces deux étoiles aboutit à une kilonova.
Récemment, une équipe d’astronomes de l’Université aéronautique Embry-Riddle (États-Unis) a découvert le premier exemple d’un type extrêmement rare de système d’étoiles binaires, qui a regroupé toutes les conditions pour éventuellement déclencher une kilonova. Un tel arrangement est si rare que l’on pense qu’il n’existe qu’une dizaine de systèmes de ce type dans toute la Voie lactée. Leurs résultats sont publiés dans la revue Nature.
Un système binaire rare issu d’un « bang » raté
Ce système inhabituel, connu sous le nom de CPD-29 2176, est situé à environ 11 400 années-lumière de la Terre. Il a été identifié pour la première fois par l’observatoire Neil Gehrels Swift de la NASA. Des observations ultérieures avec le télescope SMARTS de 1,5 mètre à l’observatoire de Cerro Tololo (au Chili), ont permis aux astronomes de déduire les caractéristiques orbitales et les types d’étoiles qui composent ce système.
Clarissa Pavao, étudiante à l’Embry-Riddle Aeronautical University et co-autrice, a tracé les spectres d’une étoile Be. Il s’agit d’une étoile B, très lumineuse et chaude, qui montre des raies d’émission dans son spectre. On pense que les raies d’émission proviennent d’un disque de matière qui entoure l’étoile.
Concrètement, C. Pavao a d’abord dû nettoyer les données du bruit visuel. Elle précise dans un communiqué : « Le télescope observe une étoile, et il capte toute la lumière possible afin de visualiser les éléments qui composent cette dernière. Mais les étoiles Be ont tendance à avoir des disques de matière autour d’elles rendant difficile l’observation directe ».
Avec son mentor, le Dr Noel D. Richardson, professeur adjoint de physique et d’astronomie à Embry-Riddle, elle a trouvé une ligne simple qui venait de l’étoile et n’était pas influencée par le disque qui l’entourait. Après avoir rapidement intégré les données de Pavao dans un programme informatique, Richardson s’est rendu compte qu’ils avaient identifié une orbite viable pour l’étoile, mais celle-ci était différente de celle attendue. Une analyse plus approfondie des données a révélé qu’une étoile traçait effectivement un cercle autour de la première, tous les 60 jours environ.
L’orbite ronde était un indice clé permettant aux chercheurs d’identifier la deuxième étoile du système binaire comme une supernova appauvrie ou ultra-dépouillée. Habituellement, après qu’une étoile a consommé tout son combustible nucléaire, son noyau s’effondre avant d’exploser dans l’espace en tant que supernova.
Mais le Dr Noel D. Richardson, professeur adjoint de physique et d’astronomie à Embry-Riddle, explique : « L’étoile était tellement épuisée que l’explosion n’avait même pas assez d’énergie pour donner à l’orbite la forme elliptique plus typique vue dans des binaires similaires ».
Puis avec Jan J. Eldridge, de l’Université d’Auckland et co-auteur, ils ont réussi à schématiser le cycle de vie des deux étoiles du système binaire. De manière concrète, l’évolution se déroule en 9 étapes :
- Stade 1 : deux étoiles bleues massives se forment dans un système d’étoiles binaires.
- Stade 2 : la plus grande des deux étoiles approche de la fin de sa vie.
- Stade 3 : la plus petite des deux étoiles absorbe la matière de son compagnon plus grand et plus mature, le dépouillant d’une grande partie de son atmosphère extérieure.
- Stade 4 : l’étoile la plus grande forme une supernova ultra-dépouillée, l’explosion en fin de vie d’une étoile avec moins de force qu’une supernova classique, « semblable à un pétard raté » selon les scientifiques.
- Stade 5 : comme observé actuellement par les astronomes, l’étoile à neutrons résultante de la supernova précédente commence à absorber la matière de son compagnon, renversant les rôles dans le système binaire.
- Stade 6 : avec la perte d’une grande partie de son atmosphère extérieure, l’étoile compagne subit également une supernova ultra-dépouillée. (Cette étape se produira dans ce cas dans environ un million d’années.)
- Stade 7 : le système binaire contient maintenant une paire d’étoiles à neutrons en orbite mutuelle proche.
- Stade 8 : les deux étoiles à neutrons tournent l’une vers l’autre, abandonnant leur énergie orbitale sous forme de faible rayonnement gravitationnel.
- Stade 9 : les deux étoiles à neutrons entrent en collision, produisant une puissante kilonova, « l’usine cosmique d’éléments lourds de notre univers ».
Notre origine et notre place dans l’Univers
Comme mentionné précédemment, les chercheurs estiment qu’il n’y a probablement qu’une dizaine de systèmes stellaires de ce type dans la galaxie à l’heure actuelle. En l’étudiant, ils espèrent découvrir de nouveaux indices sur l’origine de la Voie lactée et de facto du système solaire.
Clarissa Pavao déclare : « Lorsque nous regardons ces objets, nous regardons en arrière dans le temps. Nous en apprenons plus sur les origines de l’univers, et l’évolution future de notre système solaire ».
Richardson a ajouté que, sans systèmes binaires comme CPD-29 2176, la vie sur Terre serait très différente. En effet, selon lui, de tels systèmes ont la possibilité d’évoluer en étoiles à neutrons binaires, qui finissent par fusionner et former des éléments lourds qui sont projetés dans l’univers. Il précise : « Ces éléments lourds nous permettent de vivre comme nous le faisons. Par exemple, la majorité de l’or [et du platine] a été créé par des étoiles similaires à la relique de la supernova ou à l’étoile à neutrons dans le système binaire que nous avons étudié. L’astronomie approfondit notre compréhension du monde et de la place que nous y occupons ».
Un futur satellite pour l’étude des kilonovae
Le télescope spatial Roman est un observatoire de la NASA conçu pour régler des questions essentielles dans les domaines de l’énergie noire, des exoplanètes et de l’astrophysique infrarouge. Le télescope a un miroir primaire de 2,4 mètres de diamètre — la même taille que le miroir primaire du télescope spatial Hubble. Le télescope sera muni de deux instruments, l’instrument à champ large (Wide Field Instrument) avec un champ de vision 100 fois plus grand que l’instrument infrarouge d’Hubble et l’instrument Coronagraph.
Après son lancement au plus tard en mai 2027, ce télescope permettra aux chercheurs d’exploiter ces données pour identifier les kilonovae et la fréquence à laquelle ces événements se produisent, la quantité d’énergie qu’ils dégagent et leur proximité.