Des géologues ont découvert l’enregistrement géologique le plus complet à ce jour appuyant l’hypothèse de la « Terre boule de neige » de la période du Sturtien, dans la formation rocheuse de Port Askaig couvrant l’Irlande et l’Écosse. Il s’agit d’une période clé où le globe était entièrement recouvert d’une épaisse couche de glace, il y a entre 720 et 635 millions d’années, et qui aurait contribué à l’émergence de la vie complexe et multicellulaire.
Durant environ 60 millions d’années, la grande glaciation du Sturtien est la première des deux périodes glaciaires caractérisant l’ère cryogénique de la Terre. Ces périodes sont surnommées « Terre boule de neige », car la glace a recouvert presque toute la surface du globe, en s’étendant notamment jusqu’à l’équateur. Pendant des milliards d’années avant cette période, la Terre avait un climat tropical chaud et humide et la vie se résumait uniquement à des organismes unicellulaires (des cyanobactéries).
Les archives géologiques suggèrent que l’étendue et la durée des périodes glaciaires ont façonné les paysages continentaux comme jamais. En effet, elles sont suivies d’importantes érosions post-glaciaires lorsque la glace se retire après le retour des températures plus chaudes.
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Des études ont suggéré que la formation de Port Askaig, sur l’archipel écossais des Garvellachs, pourrait être l’un des enregistrements géologiques de la Terre boule de neige du Sturien. Elle comporte des strates géologiques alternant des diamictites (un type de roche composé de sédiments contenant des particules de tailles variées) glaciogènes et des grès non glaciaires.
Cependant, les conséquences des processus glaciaires associées à une glaciation aussi étendue et persistante que celle du Sturien, sont encore mal définies. En effectuant de nouvelles analyses de la formation de Port Askaig, des chercheurs de l’University College de Londres (UCL), de l’Université de Milan-Bicocca (en Italie) et de l’Université Birkbeck de Londres, ont confirmé qu’il s’agit d’une structure unique témoignant de manière fiable de la transition vers la Terre boule de neige du Sturien.
« La plupart des régions du monde n’ont pas pu observer cette transition remarquable, car les anciens glaciers ont gratté et érodé les roches qui se trouvaient en dessous. Mais en Écosse, par miracle, la transition est visible », explique dans un communiqué de l’UCL Elias Rügen, de l’UCL Earth Sciences et auteur principal de la nouvelle étude, publiée dans la revue Journal of The Geological Society.
Une transition d’un environnement tropical à une « Terre boule de neige »
Pour effectuer leur analyse, les chercheurs ont collecté des échantillons de grès de la formation de Port Askaig (de 1,1 kilomètre d’épaisseur) et de celle de Garbh Eileach, une formation plus ancienne de 70 mètres située en dessous. L’équipe a analysé des cristaux de zircon, des minéraux extrêmement résistants pouvant être datés avec précision en raison de leur teneur en uranium — un élément radioactif que se désintègre en plomb selon un rythme régulier. Des analyses géochimiques ont également été effectuées afin de dater les roches avec précision.
Les analyses ont révélé que les roches se sont formées il y a entre 720 et 662 millions d’années. Les données montrent une transition claire d’un environnement tropical chaud et humide vers une Terre boule de neige. La roche carbonatée de la formation de Garbh Eileach présente notamment des signes de formation dans des eaux tropicales. À titre de comparaison, les roches qui se sont formées à la même période en Amérique du Nord et en Namibie ne présentent pas la même trace de transition, probablement en raison de l’érosion engendrée par la dynamique des glaciers.
Une période clé ayant contribué à l’émergence de la vie multicellulaire ?
Les chercheurs estiment que cette transition a probablement contribué à l’émergence de la vie multicellulaire. En effet, les premiers fossiles d’organismes complexes remontent tous à la fin de la glaciation sturtienne, lorsque les calottes glaciaires ont commencé à se retirer. Avant cette période, seuls les organismes unicellulaires étaient présents sur Terre. Les roches carbonatées de Garbh Eileach témoignent d’ailleurs d’un environnement au sein duquel la vie cyanobactérienne florissait.
« Les couches de roches exposées aux Garvellachs sont uniques au monde. Sous les roches déposées pendant le froid inimaginable de la glaciation du Sturtien se trouvent 70 mètres de roches carbonatées plus anciennes formées dans les eaux tropicales. Ces couches témoignent d’un environnement marin tropical avec une vie cyanobactérienne florissante qui s’est progressivement refroidie, marquant la fin d’un milliard d’années environ d’un climat tempéré sur Terre », explique Rügen.
Les calottes glaciaires sturtiennes se seraient rapidement retirées en raison de l’albédo (le pouvoir réfléchissant d’une surface). La vie multicellulaire ayant émergé après ce retrait est apparue tout aussi rapidement, en considérant le temps géologique. Elle est fortement similaire aux formes de vie qui ont évolué il y a environ 500 millions d’années et témoignerait d’une étonnante adaptation évolutive. En effet, une théorie avance que l’environnement hostile de la Terre boule de neige du Sturien aurait favorisé l’émergence de l’altruisme (comportement d’un individu qui augmente la valeur sélective d’un autre individu tout en diminuant la sienne). Ainsi, les organismes unicellulaires auraient appris à coopérer pour former une vie multicellulaire plus apte à survivre aux changements environnementaux.
« Le retrait des glaces aurait été catastrophique. La vie avait été habituée à des dizaines de millions d’années de gel profond. Dès que la planète se serait réchauffée, toute la vie aurait dû se lancer dans une course aux armements pour s’adapter. Les survivants étaient les ancêtres de tous les animaux », suggère Graham Shields de l’UCL, coauteur de l’étude.
Les chercheurs estiment que ces résultats pourraient constituer des arguments solides pour que le site de Port Askaig soit classé en tant que marqueur du début de la période cryogénique. Appelé « section et point stratotypique de frontière mondiale » (Global Boundary Stratotype Section and Point ou GSSP), il s’agit d’un marqueur géologique d’importance mondiale. Il est aussi appelé « pointe dorée », car une pointe dorée est enfoncée dans la roche pour marquer la frontière.