Des chercheurs ont identifié une protéine dont la mutation est fortement impliquée dans la malignité des mélanomes. Cette découverte pourrait découler sur des stratégies thérapeutiques ciblant les formes résistantes de mélanome et d’autres formes de cancer.
Notre organisme est susceptible de commettre des erreurs de transcription génétique, produisant ainsi des ARN courts qui conduisent à l’expression de protéines anormales, potentiellement à l’origine de tumeurs. La régulation de l’ARN requiert un mécanisme de contrôle de qualité rigoureux pour permettre aux cellules de remplir efficacement leurs fonctions. Pour éviter le développement de tumeurs, les ARN défectueux doivent être identifiés et éliminés de la cellule. Les cellules disposent d’un système de nettoyage intégré qui corrige ces erreurs de transcription en dégradant les ARN anormaux à l’aide d’enzymes.
Toutefois, « si les cellules ne peuvent pas éliminer les déchets, ces ARN s’accumulent et peuvent devenir cancérigènes », déclare Megan Insco, professeure de médecine à Harvard et auteure principale de la nouvelle étude, dans un communiqué. Au cours d’expériences, les scientifiques ont découvert que la protéine CDK13 jouait un rôle crucial dans cette fonction d’épuration.
Une protéine qui « nettoie » les cellules
Selon les résultats publiés dans la revue Science, la CDK13 agirait en tant que suppresseur tumoral, et sa mutation ou sa perte entraînerait la prolifération de cellules tumorales. La classe des CDK (kinases cycline-dépendantes) est reconnue pour son rôle essentiel dans la régulation de la transition du cycle cellulaire et la pathogénicité des cancers. Leur expression est régulée par un réseau complexe de mécanismes génétiques et épigénétiques, dont la dérégulation est observée dans la progression de nombreuses formes de cancer.
Les niveaux de CDK peuvent servir de biomarqueurs pour détecter les cancers, ainsi que pour établir les pronostics de rémission et les réponses aux traitements des patients. De plus, certaines formes de traitements anticancéreux préviennent la dérégulation du cycle cellulaire en agissant sur l’activité des CDK. Cependant, leur efficacité reste relativement limitée, car les rôles exacts des CDK dans la progression de chaque type de cancer demeurent en grande partie méconnus.
« Avant cet article, personne ne connaissait le rôle de la CDK13 dans le cancer », indique Insco. Pour évaluer l’implication exacte de la protéine dans le cancer, les chercheurs de la nouvelle étude ont examiné les caractéristiques de mélanomes provenant d’échantillons humains et de poissons-zèbres (le modèle de laboratoire privilégié pour cette forme de cancer). Ils ont découvert qu’en temps normal, la CDK13, en tant que contrôleur qualité de l’ARN, différencie les bonnes structures des mauvaises.
En détectant des ARN présentant des structures anormales, elle déclenche la production d’un complexe enzymatique qui dégrade ces ARN et élimine les cellules de ces accumulations cancérigènes. Cependant, si la CDK13 subit une mutation, la fonction d’épuration est totalement suspendue, le génome des cellules dégénère et les rend cancéreuses. De plus, les chercheurs ont constaté un taux élevé de CDK13 mutées dans des échantillons de tumeurs humaines, de souris et de poissons-zèbres. En induisant la mutation de ces protéines chez des poissons-zèbres, ils ont également observé que la malignité de leur tumeur devenait plus agressive.
En outre, l’équipe a découvert que les mutations de CDK13 affectaient l’activation d’au moins deux membres du complexe PAXT, qui agit comme un interrupteur déclenchant la dégradation des ARN nucléaires anormaux. Les auteurs de l’étude estiment que d’autres membres du complexe pourraient être affectés par la mutation de CDK13 et la rupture de la fonction naturelle de dégradation des ARN anormaux.
Traitement des formes résistantes
La découverte des chercheurs de Harvard pourrait avoir d’importantes implications dans les formes de mélanomes résistantes aux traitements. En effet, certains patients présentent des cellules tumorales persistantes qui demeurent dans l’organisme après la fin d’un traitement anticancéreux. Indétectables lors d’examens cliniques, elles sont responsables des rechutes après plusieurs mois ou années de rémission. Des études antérieures ont montré que ces cellules persistantes reprogrammaient leur transcription protéinique de manière à traduire une faible quantité d’ARNm leur permettant de résister aux traitements ultérieurs.
Par ailleurs, plus de 20% des patients atteints de mélanome présenteraient un déficit du mécanisme d’épuration contrôlé par la CDK13. La mutation de cette dernière a également été observée dans d’autres formes de cancers chez l’Homme. « La découverte de la mutation de CDK13 dans les cancers humains suggère une implication plus large de ce mécanisme dans le cancer », suggère Leonard Zon, professeur et président du comité exécutif du Harvard Stem Cell Institute et coauteur principal de la nouvelle étude. Le ciblage de cette protéine pourrait ainsi ouvrir la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques pour de nombreuses formes de cancer.