Le foie est un organe doté d’une capacité rare d’autorégénération après destruction partielle. Cependant, cette capacité est dans une certaine mesure limitée, notamment dans les cas de pathologies chroniques graves, où le cycle de régénération naturelle de l’organe est profondément bouleversé. À ce stade, les dommages que le foie subit sont irréversibles et aucune thérapie spécifique n’est encore en mesure d’inverser la destruction des cellules hépatiques. Une nouvelle étude parue dans Cell reports apporte peut-être enfin la solution à ce problème en s’inspirant de l’incroyable capacité de régénération des lézards et des salamandres. Comme chez ces vertébrés, la dédifférenciation cellulaire (reconversion d’une cellule mature en une autre plus jeune) partielle suivie de la prolifération des jeunes cellules saines a été efficace pour restaurer très rapidement les tissus hépatiques endommagés chez la souris. Cet exploit a été rendu possible grâce à un cluster de quatre molécules reprogrammatrices, baptisées « facteurs Yamanaka ».
Le foie est l’organe du corps humain à posséder la plus grande capacité de régénération naturelle. En cas de dommages ou d’ablation partielle, il est notamment capable de retrouver en un temps record (de quelques mois à quelques semaines) son poids initial. Toutefois, certaines maladies chroniques progressives, telles que la stéatohépatite non alcoolique (NAHS), peuvent entraver cette capacité de guérison naturelle.
Cette maladie dérive en effet de la stéatose, un mécanisme naturel de protection qui permet de capturer les acides gras néfastes pour la santé pour les stocker sous forme de « gouttelettes » de lipide. Mais il arrive cependant que le foie soit débordé par ce phénomène progressif, pouvant conduire à une inflammation locale. À cause de l’accumulation des acides gras, les cellules hépatiques sont notamment tellement stressées que le système immunitaire s’active et engendre des inflammations chroniques. À ce stade, la stéatose devient une stéatohépatite, qui progresse de façon irréversible.
La faculté de régénération naturelle relativement limitée du foie serait commune aux mammifères, car d’autres vertébrés comme certains poissons, les lézards et les salamandres sont plutôt connus pour être exceptionnellement efficaces pour se régénérer naturellement. Pour régénérer des membres arrachés ou d’autres organes, ces animaux utilisent des mécanismes de « dédifférenciation » cellulaire suivie de la prolifération des jeunes cellules saines qui en résultent.
Les chercheurs du prestigieux institut de biologie Salk à San Diego se sont donc inspirés de ces « supervertébrés ». Ils ont commencé par isoler des molécules (appelées « facteurs Yamanaka ») supposées capables d’induire la même capacité de guérison chez l’Homme. « Des approches comme celle-ci pourraient être étendues au remplacement de l’ensemble de l’organe lui-même », explique dans un communiqué Juan Carlos Izpisua Belmonte, professeur au laboratoire d’expression génique de Salk et auteur correspondant de l’étude. « Elles pourraient conduire au développement de nouvelles thérapies contre les infections, le cancer, les maladies génétiques du foie ainsi que des maladies métaboliques comme la stéatohépatite non alcoolique (NASH) », estime-t-il.
Une arme à double tranchant
D’après les auteurs de la nouvelle étude, les quatre facteurs Yamanaka (Oct-3/4, Sox2, Klf4 et c-Myc) sont capables de reprogrammer les cellules au niveau moléculaire afin de ralentir leur processus de vieillissement et régénérer les tissus musculaires chez la souris. Ils ont ensuite appliqué ces facteurs pour tenter d’augmenter la taille du foie (grâce à la prolifération cellulaire), améliorer ses fonctions et prolonger la durée de vie des souris (atteintes d’une maladie hépatique induite). Les facteurs moléculaires fonctionnent donc en reconvertissant partiellement des cellules matures en cellules plus jeunes, qui se différencient et prolifèrent à nouveau en cellules plus saines.
Toutefois, l’utilisation de ces facteurs comporte un risque que les chercheurs ne contrôlent pas encore complètement. L’expression des facteurs doit notamment être contrôlée, car certains d’entre eux peuvent induire la même prolifération cellulaire excessive que dans les tumeurs. Pour ne pas courir ce risque, l’équipe du Salk a appliqué un protocole d’administration des fameux facteurs moléculaires à court terme.
Ainsi, les souris n’ont reçu le traitement que pendant une seule journée et l’équipe a surveillé l’activité des cellules hépatiques partiellement reprogrammées en prélevant périodiquement des échantillons de tissu. En suivant de près la façon dont les cellules se divisent sur plusieurs générations, les résultats ont montré que les souris n’ont pas développé de tumeur, même après neuf mois (environ un tiers de leur durée de vie moyenne).
Par ailleurs, le groupe de recherche a également découvert qu’une protéine appelée TOP2A, impliquée dans la reprogrammation des cellules hépatiques, est très active un jour après l’administration du traitement à base de facteurs Yamanaka. Le gène code notamment pour la synthèse de la topoisomérase 2a, l’enzyme responsable des clivages et des recombinaisons de l’ADN. Pour confirmer ce mécanisme, les scientifiques ont bloqué le gène Top2a, ce qui a conduit à une baisse du taux de topoisomérase 2a. Chez les souris avec le gène TOP2A désactivé, il y a eu 40 fois moins de reprogrammations cellulaires pour convertir les cellules adultes en cellules plus jeunes.
Ces découvertes constituent des pistes prometteuses pour de potentielles thérapies efficaces pour les maladies du foie, mais « il reste encore beaucoup de travail à faire avant de pouvoir comprendre pleinement la base moléculaire sous-jacente aux approches de programmation du rajeunissement cellulaire », conclut Izpisua Belmonte.