D’après le modèle cosmologique standard, la matière noire est une composante primordiale de l’Univers, permettant d’expliquer la courbe de rotation des galaxies, la formation des grandes structures ou encore certains phénomènes de lentille gravitationnelle. Si les scientifiques pensaient que chaque galaxie était dotée de matière noire, la découverte de la galaxie NGC 1052-DF2 (DF2), dépourvue de celle-ci, a paradoxalement permis de conforter les prédictions du modèle cosmologique et l’existence de la matière noire. La découverte d’une nouvelle galaxie sans matière noire, NGC 1052-DF4 (DF4), accrédite de nouveau ces prédictions.
Lors de la découverte de DF2, les astrophysiciens ont tout d’abord pensé que l’absence constatée de matière noire dans la galaxie naine était une erreur de mesure. Malgré une analyse ultérieure plus minutieuse venant confirmer les données recueillies, un doute subsistait toujours. Ce doute n’est aujourd’hui plus de mise avec la découverte d’une seconde galaxie sans matière noire semblable à DF2 et surnommée DF4. Les résultats de la découverte ont été publiés dans la revue The Astrophysical Journal Letters.
Pendant longtemps, les cosmologistes pensaient que la matière noire était une composante intrinsèque des galaxies, indispensable à leur formation et leur structuration. La découverte de DF2 a donc tout d’abord été accueillie avec circonspection, et les premiers doutes sur l’interprétation correcte des données sont rapidement apparus, y compris au sein même de l’équipe à l’origine de la découverte.
« S’il n’y a qu’un objet, vous avez toujours une petite voix dans le fond de votre esprit qui dit : « mais si je me trompais ? » » déclare l’astronome Pieter van Dokkum de l’Université de Yale. « Même si nous avons fait toutes les vérifications auxquelles nous pouvions penser, nous étions inquiets que l’Univers fasse passer quelque chose de banal pour quelque chose de vraiment spécial ».
Ensuite, ils ont trouvé DF4. Comme DF2, c’est une galaxie ultra-diffuse — assez grande, étendue, mais difficile à observer. Ces objets ont à peu près la taille de la Voie lactée, mais possèdent 100 à 1000 fois moins d’étoiles. Ils peuvent donc être assez difficiles à voir. Les deux galaxies ont également été associées à la galaxie elliptique NGC 1052, située à environ 63 millions d’années-lumière de la constellation de la Baleine.
Et comme DF2, DF4 semble manquer complètement de matière noire. À l’aide du spectromètre d’imagerie à basse résolution (LRIS) de l’observatoire Keck, les astronomes ont suivi le mouvement orbital de sept amas denses d’étoiles, appelés amas globulaires. Leur vitesse s’est avérée compatible avec l’effet gravitationnel de la masse de la matière normale estimée de la galaxie.
« La découverte d’une deuxième galaxie avec très peu ou pas de matière noire est tout aussi excitante que la découverte initiale de DF2 » déclare van Dokkum. « Cela signifie que les chances de trouver plus de ces galaxies sont maintenant plus élevées que prévu. Puisque nous n’avons aucune idée de la façon dont ces galaxies ont été formées, j’espère que ces découvertes encourageront davantage de scientifiques à travailler sur cette énigme ».
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L’équipe a également mené d’autres recherches pour confirmer les résultats précédents concernant DF2. En utilisant le puissant Keck Cosmic Web Imager (KCWI) de l’observatoire Keck, ils ont suivi les orbites de 10 groupes globulaires. La vitesse de ceux-ci était également compatible avec un manque de matière noire. Et parce que ces galaxies sont tellement exemptes de matière noire, elles constituent en réalité un argument de soutien pour son existence, car elles prouvent que la matière normale peut exister séparément de celle-ci.
Quant à savoir pourquoi ces galaxies manquent de matière noire, cela n’a pas été résolu. Ont-elle eu possédé de la matière noire avant de la perdre d’une manière ou d’une autre ? Ont-elles été formées sans elle à partir du gaz éjecté par NGC 1052 ?
« Nous espérons découvrir à quel point ces galaxies sont communes et si elles existent dans d’autres régions de l’Univers. Nous voulons trouver plus de preuves qui nous aideront à comprendre comment les propriétés de ces galaxies fonctionnent avec nos théories actuelles. Nous espérons que cela nous mènera un pas plus loin dans la compréhension de l’un des plus grands mystères de notre univers — la nature de la matière noire » conclut Shany Danieli, astronome à l’Université de Yale.