Sans semi-conducteur, il n’y a tout simplement pas de numérique (ordinateurs, smartphones, consoles de jeu, etc.). Le silicium est le matériau semi-conducteur le plus utilisé commercialement, du fait de son abondance naturelle et de son coût de mise en œuvre économique. Néanmoins, ses propriétés de semi-conducteur sont loin d’être idéales, et face aux pénuries engendrées par la pandémie de COVID-19, beaucoup cherchent des alternatives. Récemment, une équipe de scientifiques du MIT a montré qu’un matériau connu sous le nom « d’arséniure de bore cubique », comble les lacunes du silicium et apparait probablement comme le meilleur semi-conducteur connu à ce jour. La prochaine étape consiste à trouver des moyens pratiques et économiques de le fabriquer.
Il faut savoir qu’un semi-conducteur est un matériau qui, à l’état pur, n’est pas conducteur d’électricité, mais le devient suite à un traitement spécifique, le dopage. Cette semi-conduction est obtenue en introduisant des impuretés, par dopage N (pour négatif, car on ajoute des électrons) ou P (pour positif, car on retire des électrons) : cela augmente la conductivité des semi-conducteurs.
Ce traitement est utilisé dans le cas du silicium, qui est notamment à la base des cellules photovoltaïques qui constituent les panneaux solaires. La conductivité électrique d’un semi-conducteur est intermédiaire entre celles des métaux (bons conducteurs) et celle des isolants. Dans les ordinateurs, plusieurs semi-conducteurs sont placés en chaine, alternant dopage N et dopage P, permettant le passage des électrons des uns aux autres. Les électrons du semi-conducteur dopé N comblent les « trous » laissés par le dopage P de l’autre semi-conducteur.
Néanmoins, même si le silicium est largement utilisé, ses propriétés ne sont pas idéales. D’une part, bien qu’il laisse passer facilement les électrons à travers sa structure, il s’adapte beaucoup moins aux trous (dopage P), le passage des électrons est difficile. Ces deux propriétés sont pourtant importantes dans certains types de puces. De plus, le silicium n’est pas très efficace pour conduire la chaleur, c’est pourquoi les problèmes de surchauffe et les systèmes de refroidissement coûteux sont courants dans les ordinateurs.
Récemment, une équipe de chercheurs du MIT, de l’Université de Houston et d’autres institutions, a démontré que l’arséniure de bore cubique surmonte ces deux limitations. Il offre une grande mobilité aux électrons et aux trous et possède une excellente conductivité thermique. Les travaux sont publiés, à travers deux articles simultanés, dans la revue Science.
Des résultats qui confirment des recherches antérieures
La présente étude s’appuie sur des recherches antérieures, y compris les travaux de David Broido, co-auteur du nouvel article. Ces derniers avaient théoriquement prédit que l’arséniure de bore cubique aurait une conductivité thermique élevée, près de 10 fois supérieure à celle du silicium. De plus, l’équipe de Chen en 2018 avait également émis l’hypothèse qu’il était doté d’une mobilité très élevée pour les électrons et les trous, « ce qui rend ce matériau vraiment unique », explique Chen dans un communiqué. Il ajoute : « C’est important, car, bien sûr, dans les semi-conducteurs, nous avons des charges positives et négatives équivalentes. Donc, si vous construisez un appareil, vous voulez posséder un matériau où les électrons et les trous voyagent avec moins de résistance ».
Les propriétés électroniques de l’arséniure de bore cubique ont été initialement prédites sur la base des calculs de la fonction de densité de la mécanique quantique, effectués par le groupe de Chen. Puis, ces prédictions ont été validées par des expériences menées au MIT, en utilisant des méthodes de détection optique (par microscopie à réflectivité transitoire) sur des échantillons fabriqués par Zhifeng Ren et ses collègues de l’Université de Houston.
Le professeur Shin explique : « L’étape critique qui rend cette découverte possible est les progrès des systèmes de réseau laser ultrarapides au MIT — initialement développés par l’ancien doctorant du MIT Bai Song. Sans cette technique, il n’aurait pas été possible de démontrer la grande mobilité du matériau pour les électrons et les trous ».
Comme mentionné précédemment, l’un des obstacles du silicium est sa surchauffe et la nécessité d’investir dans des systèmes de refroidissement coûteux. Par exemple, dans l’électronique des véhicules électriques, le silicium est remplacé par le carbure de silicium, ayant une conductivité thermique trois fois plus grande. En termes simples, il doit chauffer trois fois moins pour obtenir la même efficacité que le silicium de base. Or, à travers leurs expériences, les auteurs de l’étude ont confirmé la conductivité thermique 10 fois supérieure de l’arséniure de bore cubique. Le professeur Shin souligne : « Imaginez ce que les arséniures de bore peuvent réaliser, avec une conductivité thermique 10 fois supérieure et une mobilité bien supérieure à celle du silicium. Cela peut changer la donne ».
Un nouveau matériau au potentiel encore inexploité
Le défi maintenant est de trouver des moyens pratiques de fabriquer ce matériau en quantités utilisables. Les méthodes actuelles de fabrication produisent un matériau qui n’est pas uniforme, de sorte que l’équipe a dû trouver des moyens de tester uniquement de petites zones du matériau suffisamment uniformes pour fournir des données fiables. Bien qu’ils aient démontré le grand potentiel de ce matériau, « nous ne savons pas si, ni où, il sera réellement utilisé », dit Chen.
Le silicium est le cheval de bataille de toute l’industrie de l’électronique. D’ailleurs, la Commission européenne présente, mardi 8 février 2022, un plan de 42 milliards d’euros pour donner un coup de fouet à la production de ces composants électroniques. Des travaux supplémentaires seront donc nécessaires pour déterminer si l’arséniure de bore cubique peut remplacer le silicium omniprésent.
Et bien que les propriétés thermiques et électriques se soient avérées excellentes, il existe de nombreuses autres propriétés de ce matériau qui n’ont pas encore été testées, telles que sa stabilité à long terme, expliquent les auteurs. Chen souligne : « Maintenant que les propriétés souhaitables de l’arséniure de bore sont devenues plus claires, ce qui suggère que le matériau est ‘à bien des égards le meilleur semi-conducteur’, peut-être qu’on accordera plus d’attention à ce matériau ».
Les chercheurs concluent tout de même que, dans un avenir proche, le matériau pourrait trouver des utilisations où ses propriétés uniques feraient une différence significative, si l’industrie apporte le financement nécessaire à un tel développement.