La compréhension fragmentaire des mécanismes neurobiologiques sous-tendant la douleur chronique constitue un défi majeur pour l’élaboration de stratégies thérapeutiques visant à la soulager. Des chercheurs ont mis au jour des signaux nerveux spécifiques associés à cette forme de douleur, des biomarqueurs « objectifs » susceptibles de conduire un jour à des traitements plus efficaces.
Une douleur est classifiée comme chronique lorsque sa durée excède six mois et qu’elle résiste aux traitements de première ligne. Il est important de ne pas la confondre avec la douleur aiguë, qui est engendrée par des blessures ou des brûlures et ne persiste que sur une courte durée. Celle-ci agit comme un signal d’alerte pour le système nerveux central, qui déclenche en conséquence les réponses appropriées. En revanche, la douleur chronique est « inutile » et sa persistance, de même que son intensité, entravent significativement la qualité de vie des individus concernés.
Pouvant survenir à tout âge, la douleur chronique affecte plus de 100 millions de personnes à travers le monde. Ses localisations sont variées, englobant les douleurs lombaires, les migraines, l’endométriose, les tumeurs, etc. L’identification précise du type de douleur à traiter requiert un examen clinique approfondi, s’appuyant généralement sur l’imagerie cérébrale ou les témoignages des patients, basés sur des échelles de référence médicales.
Toutefois, les rapports relatifs à la maladie peuvent parfois être subjectifs et les patients sont souvent mal compris. Cette subjectivité constitue une difficulté majeure dans l’évaluation des cliniciens et l’administration de traitements adéquats. Par ailleurs, les traitements destinés à soulager la douleur chronique sont généralement basés sur des analgésiques, souvent composés de puissants opioïdes. Ces molécules engendrent non seulement de nombreux effets secondaires, mais perdent également en efficacité après une certaine durée de traitement (tolérance médicamenteuse). De plus, les individus prenant ces médicaments sont susceptibles de développer une addiction, rendant leur perception de la douleur encore plus subjective.
Les chercheurs de la nouvelle étude, publiée récemment dans Nature Neuroscience, plaident pour une révision complète des stratégies destinées à soulager la douleur chronique. Dans ce contexte, les scientifiques, affiliés à l’Université de Californie à San Francisco, ont découvert des signaux cérébraux spécifiquement liés à la douleur chronique, radicalement distincts de ceux associés à la douleur aiguë. Cette distinction pourrait expliquer l’inefficacité des analgésiques standards face à cette forme de douleur.
« La douleur chronique n’est pas seulement une version plus durable de la douleur aiguë, elle est fondamentalement différente dans le cerveau », clarifie Prasad Shirvalkar, neurologue à l’Université de Californie et auteur principal de l’étude, au Guardian. Les signaux récemment découverts pourraient agir en tant que biomarqueurs « objectifs », pouvant potentiellement aboutir à des traitements plus précis et plus efficaces, comme la stimulation cérébrale profonde.
Des signaux distincts de ceux de la douleur aiguë
Dans le cadre de cette nouvelle étude, l’équipe de Shirvalkar a implanté chirurgicalement des électrodes chez quatre patients souffrant de douleur chronique réfractaire, suite à un AVC ou à l’amputation d’un membre. Lorsqu’un patient éprouvait une douleur, il devait actionner un bouton de signalisation. Les électrodes transmettaient alors à un dispositif externe les signaux émis par le cortex cingulaire antérieur (ACC) et le cortex orbitofrontal (OFC).
Les volontaires étaient sollicités plusieurs fois par jour pour répondre à un questionnaire concernant l’intensité et la nature de leur douleur, et pour enregistrer leur activité cérébrale pendant 30 secondes. C’est la première fois que l’activité cérébrale sous-jacente à la douleur chronique a été observée en laboratoire. Les enregistrements ont notamment révélé que cet état de douleur est spécifiquement lié à des modifications d’activité au niveau de l’OFC, tandis que la douleur aiguë semble davantage signalée au niveau de l’ACC. Ces données ont permis aux chercheurs de développer un algorithme pour prédire la douleur d’un individu en fonction des signaux émis par son OFC.
Les résultats de l’étude pourraient appuyer les essais cliniques sur la stimulation cérébrale profonde visant à contrôler la douleur chronique. Cette stimulation cérébrale consiste à envoyer des impulsions électriques à certaines régions du cerveau afin de perturber les signaux neuropathologiques. Cette forme de thérapie est également en phase d’essai et s’est révélée partiellement efficace pour soulager les symptômes de la maladie de Parkinson et pour traiter la dépression majeure.
En outre, l’absence de mesures objectives de la douleur chronique entrave sérieusement l’évaluation de l’efficacité des traitements en cours d’essai. L’algorithme développé par les chercheurs californiens pourrait donc constituer un avantage significatif pour cette évaluation.
Il convient cependant de garder à l’esprit que le protocole utilisé dans l’étude clinique mentionnée est invasif et ne peut être envisagé qu’en dernier recours. Les électrodes de stimulation doivent notamment être implantées chirurgicalement pour pouvoir agir efficacement sur les signaux nerveux ciblés. De plus, la douleur chronique est un phénomène complexe impliquant de nombreux facteurs (physiques, psychologiques, socioculturels, etc.). Les traitements qui lui sont associés doivent ainsi prendre en compte un grand nombre de variables avant d’être pleinement exploités.