Alors que la légalisation de la consommation de cannabis est en expansion à travers le monde, ses effets sur notre organisme ne sont pas encore pleinement compris. Des chercheurs ont récemment découvert que sa consommation occasionnelle ou à long terme est liée à des changements épigénétiques, dont un commun à la consommation de tabac et d’autres substances, toutes liées à la prolifération cellulaire et à différents troubles psychiatriques. Ces résultats suggèrent donc un risque non négligeable pour la santé.
Le cannabis est l’une des plantes à substances psychoactives les plus consommées au monde. Devançant les opioïdes (58 millions), l’amphétamine (27 millions) et la cocaïne (19 millions), elle concerne près de 192 millions de consommateurs. Directement suivis de la France, les États-Unis sont les premiers consommateurs au monde avec 49% des adultes ayant essayé le cannabis au moins une fois au cours de leur vie. Les analystes estiment que ces chiffres devraient augmenter dans les années à venir, en raison de la hausse de sa légalisation à travers le monde.
D’un point de vue médical, le cannabis aide à améliorer la qualité de vie de nombreux patients, en atténuant par exemple la nausée et les douleurs neuropathiques chroniques — pour ceux ayant suivi une chimiothérapie par exemple. Il atténue également les symptômes de la maladie de Parkinson et réduit les risques de crises d’épilepsie.
Cependant, malgré ces avantages, la prise de cannabis peut également avoir des effets néfastes à court terme (troubles de la mémoire et de la coordination, altération du jugement et symptômes psychotiques) et à long terme sur la santé (addiction, troubles neurocognitifs et cardiorespiratoires, …). Des recherches antérieures ont d’ailleurs rapporté que la consommation de cannabis causerait plus de dommages aux poumons que le tabac et provoquerait un vieillissement précoce et accéléré.
« Nous avons précédemment identifié des associations entre la consommation de marijuana et le processus de vieillissement capturé par la méthylation de l’ADN », explique la co-auteure principale de la nouvelle étude, Lifang Hou, du département de médecine préventive de l’Université de Northwestern (États-Unis). En d’autres termes, la drogue affecte l’épigénome. Cependant, « les effets de la marijuana sur les facteurs épigénétiques n’ont pas été bien étudiés », ajoute Hou.
En effet, l’étude des variations épigénétiques est essentielle pour comprendre comment le mode de vie ou l’environnement peut influencer la santé. Dans leur nouvelle recherche publiée dans la revue Molecular Psychiatry, Hou et ses collègues souhaitaient déterminer si des facteurs épigénétiques spécifiques sont associés à la marijuana et si ces facteurs peuvent impacter négativement la santé.
Une analyse évaluant la consommation à long terme
La méthylation de l’ADN est l’une des modifications épigénétiques les plus étudiées. Il s’agit d’un processus de régulation au cours duquel l’ajout ou la suppression de composés méthylés au niveau de l’ADN affecte l’expression des gènes, mais sans altérer la séquence du génome. Ces changements peuvent être induits par le mode de vie et les facteurs environnementaux et peuvent ainsi faire office de biomarqueurs pour une exposition récente ou cumulative à une substance donnée. La nature changeante de la méthylation de l’ADN permet également d’évaluer les changements épigénomiques induits par cette exposition et pourrait conduire à l’identification de biomarqueurs dynamiques ou stables.
Dans le cas de la consommation de marijuana, des chercheurs ont précédemment identifié des signatures d’ADN différentiellement méthylés au niveau de certaines régions, telles que AHRR, ALPG, CEMIP et MYO1G. Cependant, ces études étaient généralement limitées à un seul point dans le temps et n’évaluaient pas à la fois la consommation récente et à long terme. L’étude de l’Université de Northwestern dans ce sens pourrait ainsi fournir de nouvelles informations clés. « Nous avons observé des associations entre la consommation cumulative de marijuana et de multiples marqueurs épigénétiques dans le temps », explique Hou.
Un marqueur commun à la prise de tabac
Les chercheurs ont analysé des échantillons sanguins prélevés à 5 ans d’intervalle sur des patients ayant antérieurement participé à une autre étude à long terme (sur une période de 15 à 20 ans) et âgés au départ de 18 à 30 ans. Les échantillons ont été collectés à la 15e (1023 participants) et 20e année (883 participants) de l’étude et la consommation récente et cumulative de marijuana a été évaluée à chaque examen. Ensuite, un profil de méthylation de l’ADN a été effectué sur chaque échantillon afin d’identifier et quantifier les changements épigénétiques associés à la prise de la drogue.
Chez le premier groupe de participants (de la 15e année), 22 et 31 marqueurs de méthylation ont été respectivement associés à la consommation récente et cumulée de marijuana. Pour le second groupe (de la 20e année), 132 et 16 marqueurs ont été détectés pour les mêmes périodes de consommation. Les modifications 640 cis-meQTL et 198 DMR ont été particulièrement associées à la prise récente et cumulée, chez les deux groupes.
Par ailleurs, parmi les marqueurs détectés, 8 ont été précédemment rapportés comme étant spécifiquement liés à la prise de cannabis. Un grand nombre de changements épigénétiques ont également été observés dans les voies liées à la prolifération cellulaire (augmentant le risque de formation de tumeurs), à la signalisation hormonale, aux infections, à la schizophrénie, au trouble bipolaire ainsi que d’autres troubles liés à la prise de substances psychoactives. En outre, un marqueur associé à la prise de tabac a également été détecté dans chaque groupe et suggère une régulation épigénétique commune aux deux substances.
Toutefois, des études supplémentaires sur un plus large échantillon de population sont nécessaires pour confirmer ces résultats, précisent les auteurs. De plus, les résultats obtenus ne suffisent à établir ni une relation de causalité précise entre la consommation de cannabis et les changements épigénétiques observés ni la relation entre ces derniers et les résultats de santé observés. Néanmoins, ces nouvelles données fournissent des preuves supplémentaires concernant ces différentes relations et appuieront les futures recherches.