Des scientifiques de Harvard envisagent de tester une nouvelle technologie de géo-ingénierie, qui pourrait potentiellement aider à lutter contre le réchauffement climatique. Ce test préliminaire, qui doit se dérouler en Suède, a provoqué la colère des militants écologistes, qui craignent les effets secondaires de grande ampleur inhérents à ce système censé refroidir la planète.
Une longue liste d’organisations, y compris Greenpeace, les Amis de la Terre et la Société suédoise pour la conservation de la nature, ont écrit une lettre ouverte au gouvernement et à la Société spatiale suédoise pour mettre un terme à cette expérience, qu’ils jugent tout simplement trop dangereuse à long terme. De quoi s’agit-il exactement ? La technologie mise au point par les scientifiques consiste à introduire dans la stratosphère des particules capables de réfléchir les rayons du Soleil ; ceci dans le but de réduire la quantité de chaleur qui parvient jusqu’à la Terre.
Les opposants au projet ont très rapidement évoqué les impacts environnementaux et même géopolitiques que ces injections stratosphériques d’aérosols (ISA) pourraient provoquer à long terme. Par ailleurs, ils estiment que ce projet de géo-ingénierie n’est pas une vraie solution, car il ne s’attaque pas au cœur, ou plutôt à la source du problème (à savoir, la réduction des émissions de gaz à effet de serre).
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« Une épée de Damoclès sur l’humanité »
Dans cette lettre ouverte au gouvernement suédois, les militants décrivent les ISA comme une technologie « dangereuse, imprévisible et ingérable », pouvant avoir des conséquences extrêmes. Ainsi, les tests prévus sont de leur point de vue « fondamentalement incompatibles avec le principe de précaution ». « Rien ne justifie de tester et d’expérimenter une technologie qui semble trop dangereuse pour être utilisée », écrivent-ils.
Pour les différents groupes et associations de défense de l’environnement, il serait en effet bien plus utile de cibler directement la cause du réchauffement climatique plutôt que de masquer l’impact des émissions de CO2 via cette solution de contournement. Et pour cause : si l’on ne s’attaque pas à la source, le problème ne fera que s’aggraver avec le temps, obligeant les gouvernements à utiliser de plus en plus de technologies de géo-ingénierie comme celle-ci. « Vous entrez dans cette spirale de la mort, où vous essayez de garder la Terre habitable face à une augmentation constante du CO2 et de vous préparer à un risque de catastrophe de plus en plus grand », explique Raymond Pierrehumbert, physicien de l’Université d’Oxford et spécialiste de la dynamique du climat. Ce dernier estime en outre qu’une adoption généralisée de cette technologie constituerait une « épée de Damoclès » sur l’humanité.
Le test est prévu pour le mois de juin. Une équipe de scientifiques envisage de lancer un ballon à haute altitude, depuis Kiruna en Laponie, afin de vérifier s’il peut transporter le matériel requis pour une future expérience à petite échelle sur des particules réfléchissant les radiations dans l’atmosphère terrestre. Ce premier vol n’a donc pas pour objectif de libérer ces particules. Mais pour les opposants au projet, ce vol d’essai serait le premier pas vers l’adoption de cette technologie potentiellement dangereuse. Un comité consultatif indépendant doit rendre sa décision quant à l’autorisation de ce vol d’ici le 15 février. « Le vol ne sera effectué que s’il est conforme aux réglementations nationales et internationales […], conforme à la loi et éthique », précise la Société spatiale suédoise.
Un test indispensable pour mieux comprendre les risques
Les aérosols stratosphériques sont un élément clé de la technologie de géo-ingénierie solaire, que certains ont proposée comme « plan B » pour contrôler l’élévation de température de la Terre si celle-ci rend les conditions intolérables et que les gouvernements ne prennent pas les mesures nécessaires. Des études ont montré que l’adoption généralisée de la géo-ingénierie solaire pourrait être finalement peu coûteuse et plus sûre que certains le craignent. Mais les opposants estiment que les conséquences de cette technologie ne sont pas suffisamment bien comprises ; selon eux, les ISA à grande échelle pourraient endommager la couche d’ozone, provoquer un échauffement dans la stratosphère et perturber les écosystèmes.
Le professeur Frank Keutsch, qui dirige le groupe de recherche autour de la SCoPEx (pour stratospheric controlled perturbation experiment), a lui-même reconnu qu’il partageait de nombreuses préoccupations des écologistes. Néanmoins, si les expériences sont autorisées, elles permettraient justement de mieux comprendre les risques de la géo-ingénierie solaire. « Le risque de ne pas faire de recherche sur ce sujet l’emporte sur le risque de faire cette recherche », résume l’expert, qui souhaiterait s’entretenir avec les groupes de militants pour leur expliquer son point de vue.
Selon lui, l’ampleur et l’impact du changement climatique sur l’humanité sont tels qu’aucune « solution miracle » ne parviendra à l’endiguer. Le spécialiste se dit inquiet pour l’avenir du monde et dans ce contexte, il estime que toutes les options permettant de limiter le réchauffement climatique — dont la gestion du rayonnement solaire — doivent être envisagées. La méthode est toutefois encore au stade de la théorie. Idéalement, l’effet de ces particules réfléchissantes doit être similaire à ce que produisent les grandes éruptions volcaniques, lors desquelles des particules de dioxyde de soufre sont libérées et demeurent en suspension dans la stratosphère, où elles réfléchissent le rayonnement solaire. À titre d’exemple, l’éruption du mont Pinatubo aux Philippines, en 1991, a provoqué une baisse des températures mondiales d’environ 0,6°C pendant 15 mois!
Les chercheurs espèrent ainsi que SCoPEx fera progresser les modèles de géo-ingénierie solaire et améliorera la compréhension des risques et des avantages potentiels de cette technologie. Dans le cadre de ce projet, si leur vol d’essai est autorisé, ils prévoient dans un second temps de mener des expériences à petite échelle sur des aérosols de carbonate de calcium et d’autres substances, à une altitude de 20 km environ.