Selon les dernières données satellites de l’Institut brésilien de recherches spatiales (INPE), le taux de déforestation a battu un nouveau record le mois dernier : plus de 1000 km² de forêt ont été décimés (soit plus que la superficie de Berlin), contre 579 km² en avril 2021. C’est le pire taux de déforestation depuis 2016. Une perte immense résultant des décisions politiques du président brésilien Jair Bolsonaro, qui depuis son entrée en fonction en janvier 2019, soutient une plus grande ouverture de l’Amazonie à l’exploitation minière et à l’agriculture.
La plus grande forêt tropicale du monde, le « poumon de la Terre », approche d’un point de basculement critique. La forêt amazonienne enchaîne en effet les records : en janvier déjà, la zone détruite était environ cinq fois plus étendue que celle enregistrée en janvier 2021 — déjà considéré comme le mois de janvier le plus dévastateur depuis 2015, qui marque le début des enregistrements des données de déforestation. Ces abattages de masse entraînent malheureusement une perte de résilience de la forêt — soit sa capacité à se régénérer après les épisodes de sécheresse, les incendies ou encore les glissements de terrain, qui se font de plus en plus fréquents.
« Il y a une limite à la merde que le système peut supporter », a déclaré l’écologiste Paulo Brando, l’un des principaux scientifiques qui étudient l’évolution de la santé de la forêt amazonienne, cité par Reuters. Si le point de non-retour est franchi, l’Amazonie en tant que forêt tropicale n’existera plus ; à la place se trouvera une forêt, voire une savane, à la végétation beaucoup moins dense, moins haute et plus sèche. Selon les experts, les conséquences pour la biodiversité et le changement climatique seront dévastatrices. Des milliers d’espèces disparaîtront et une quantité colossale de dioxyde de carbone sera rejetée dans l’atmosphère — annihilant au passage toute tentative de limitation du changement climatique au niveau mondial.
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Plus de 1900 km² de forêt détruite au premier trimestre 2022
« Un crève-cœur », c’est le terme employé par Tasso Azevedo, fondateur de l’ONG Imaflora et premier directeur général du Service national des forêts du Brésil, en réaction aux données communiquées par l’INPE. « Le rythme de la déforestation en 2022 est supérieur de près de 70% à celui de 2021, une année record depuis le début de la série en 2016 », souligne-t-il sur son compte Twitter. En effet, les données montrent une augmentation de près de 70% du taux de déforestation pour le premier trimestre 2022 (par rapport au premier trimestre 2021) : plus de 1900 km² de forêt ont déjà été détruits.
Le Brésil, qui abrite 60% de la forêt amazonienne, est le premier exportateur de bœuf et de soja — des activités dont les revenus représentaient près de 13% du PIB en 2019. La demande internationale est telle que les éleveurs et les producteurs ont besoin de toujours plus de terres, d’où une déforestation croissante. Alors que la forêt amazonienne était autrefois considérée comme un important puits de carbone, elle émet aujourd’hui plus de CO2 qu’elle n’est capable d’en absorber. Non seulement l’abattage met la biodiversité en danger, mais elle menace également près de 400 tribus indigènes, dont plusieurs ont déjà été forcées de se déplacer.
Un récent rapport de Global Forest Watch a révélé qu’en 2021 plus de 40% de la perte de forêt primaire tropicale s’est produite au Brésil, soit un total de 1,5 million d’hectares. L’ouest de l’Amazonie brésilienne en particulier a fait face à une intensification de la perte de forêt primaire, et compte désormais plusieurs nouveaux « points chauds », cette région ayant connu une augmentation de plus de 25% des pertes non liées au feu de 2020 à 2021 — au Brésil, les pertes non liées au feu sont le plus souvent associées à l’expansion agricole.
Un point de basculement de plus en plus proche
« La poursuite de la déforestation est le résultat direct du sabotage par le président Bolsonaro de l’application des lois environnementales au Brésil », a déclaré André Freitas, directeur de la campagne forestière de Greenpeace Brésil. Depuis son entrée au pouvoir, Bolsonarao a non seulement largement amenuisé l’application des lois environnementales, mais il a également réduit le budget dédié à l’environnement de près d’un quart et autorisé l’exploitation des terres autochtones. Freitas ajoute que seuls 2% des alertes à la déforestation illégale ont fait l’objet d’enquêtes par les autorités ces dernières années.
Sous la pression internationale croissante, lors de la COP26, le président brésilien a néanmoins promis de mettre fin à la déforestation illégale d’ici 2030 — mais à ce rythme, il sera peut-être déjà trop tard… Un rapport d’évaluation publié en novembre 2021, rédigé par plus de 200 scientifiques du Science Panel for the Amazon, estime à 17% la part de forêt amazonienne détruite à ce jour — un nombre qui grimpe à 25% dans certaines régions. Selon le célèbre climatologue brésilien Carlos Nobre, le point de basculement se situerait entre 20% et 25% de déforestation.
Ce qui est d’autant plus inquiétant, c’est que ce nouveau record de déforestation survient avant la « période habituelle » de déforestation. En avril, c’est encore la saison des pluies dans cette région ; par conséquent, la forêt, plus boueuse, est généralement plus difficile d’accès pour les bûcherons et les exploitants allument moins de feux pour défricher les terres. À quoi devons-nous nous attendre pour les prochains mois ? Malgré les promesses de Bolsonaro, les experts craignent que la déforestation continue d’augmenter jusqu’aux élections présidentielles qui se dérouleront au mois d’octobre. Bolsonaro visant la ré-élection, on imagine bien qu’il n’a pas l’intention de se mettre à dos tous les exploitants agricoles et miniers du pays.