Selon le modèle cosmologique standard, l’Univers est apparu il y a 13.8 milliards d’années. S’inscrivant dans le cadre du Big Bang, le modèle de l’inflation cosmique décrit une phase d’expansion extrêmement brève et violente de l’Univers qui se serait produite environ 10-35 secondes après le Big Bang. Toutefois, ce scénario ne fait pas consensus au sein de la communauté scientifique où il est en compétition avec d’autres modèles, notamment des modèles de Big Bounce. Récemment, des chercheurs ont proposé une nouvelle méthode pour les départager.
Vers la fin du 20ème siècle, entre les années 1970 et 1980, l’étude du fond diffus cosmologique, de l’expansion et des grandes structures cosmiques révèle un Univers homogène et isotrope (principe cosmologique). Cependant, au début des années 1950, le physicien russe Evgueni M. Lifchits montre déjà, grâce à la théorie des perturbations cosmologiques, que le phénomène d’expansion de l’Univers ne peut, à lui seul, expliquer cette homogénéité et isotropie.
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Ce constat suggérait donc que si l’Univers n’était pas déjà homogène et isotrope à ses débuts (ou peu après), il ne devrait alors pas non plus l’être aujourd’hui. Ce problème va prendre rapidement le nom de « problème de l’horizon ».
Un autre problème va ensuite venir s’ajouter à celui-ci : celui de la platitude. Le problème de la platitude décrit la contradiction entre la valeur du rayon de courbure de l’Univers et la plus grande distance parcourue par la lumière ; en d’autres termes, pour expliquer la platitude de l’Univers observée aujourd’hui, le rayon de courbure de l’espace devait être au moins 1026 fois plus grand que le rayon de l’univers observable au sortir de l’ère de Planck.
L’inflation cosmique : une explication au principe cosmologique
En 1979 le cosmologiste Alan Guth propose un mécanisme qui apporte une solution à ces deux problèmes : l’inflation. Lors de ce processus qui aurait pris place à l’issue de l’ère de Planck, et qui aurait duré entre 10-35 et 10−32 seconde après le Big Bang, l’Univers aurait grossi d’un facteur d’au moins 1026, voire certainement bien plus (certains modèles impliquent un facteur 101 000 000).
Le phénomène d’inflation fait intervenir un champ scalaire particulier, l’inflaton, qui serait apparu suite à une transition de phase en sortie de l’ère de grande unification.
Dans son état fondamental de plus basse énergie, ce champ quantique possède une pression négative, il est donc responsable d’une force répulsive qui aurait rapidement et brutalement dilaté l’espace. Ainsi, durant cette brève expansion, la densité d’énergie et de matière a pu se répartir relativement équitablement entre les différentes zones de l’Univers observable.
L’analyse des anisotropies (fluctuations) du fond diffus cosmologique (CMB), l’étude des grandes structures comme les galaxies et de leurs effets de cisaillement gravitationnel, confortent le modèle inflationnaire depuis plusieurs dizaines d’années. L’observation d’amplitudes plus élevées des anisotropies à grande échelle du fond diffus cosmologique par le satellite WMAP confirme l’une des prédictions majeures du modèle inflationnaire.
Cependant, certains des phénomènes observés peuvent également s’inscrire dans d’autres modèles cosmologiques ne contenant pas d’inflation. C’est par exemple le cas de scénarios impliquant une phase de contraction puis de rebond de l’Univers. Dès lors, le mécanisme de l’inflation disparaît au profit d’un scénario de type Big Bounce, comme il en existe dans certaines théories de la gravité quantique.
Ainsi, bien que conforté, le modèle de l’inflation reste tout de même en compétition avec ces scénarios alternatifs tant que des observations ne pourront statuer sans ambiguïtés sur la situation.
Perturbations primordiales de densité : les horloges standards de l’Univers primitif
C’est pourquoi une équipe américaine de physiciens théoriciens a proposé un nouvelle manière de départager ces différents scénarios au moyen d’une méthode indépendante du modèle considéré.
Pour ce faire, les chercheurs ont utilisé un paramètre cosmologique caractérisant ces différents scénarios : l’évolution de l’échelle de l’Univers en fonction du temps, appelé facteur d’échelle et noté « a(t) ». Le facteur d’échelle mesure l’évolution de la distance entre deux objets distants dans l’Univers.
Chaque modèle possède un facteur d’échelle caractéristique. Toutefois, tout le problème est de trouver une observable cosmique mesurant directement a(t). En effet, les phénomènes ordinairement observés comme référence en cosmologie ne permettent pas de mesurer directement a(t). Et ce lien indirect entre les observables usuelles et le facteur d’échelle conduisent à des prédictions non spécifiques. Les chercheurs ont donc tenté de trouver une observable qui mesurerait directement a(t). Leurs travaux sont pour le moment disponibles sur le serveur de prépublication arXiv.
La majorité des modèles cosmologiques décrivant l’Univers primordial impliquent l’existence de champs quantiques massifs. Ces champs oscillent à la manière d’oscillateurs harmoniques sous l’effet de fluctuations quantiques, et ces oscillations laisseraient leurs empreintes dans les perturbations de densité qui ont agité l’Univers. Ces empreintes cosmiques seraient des enregistrements directs du facteur d’échelle de cette époque primordiale. Les champs massifs agiraient donc, selon les auteurs, comme des « horloges standards primordiales ».
« Les perturbations au sein des champs massifs sur une échelle spatiale particulière oscillent comme une balle rebondissante dans un puits de potentiel, où la masse détermine la fréquence des oscillations. Mais l’évolution des perturbations dépend également de l’échelle spatiale et donc du facteur d’échelle (qui augmente exponentiellement dans les modèles inflationnaires, et qui décroît dans les modèles alternatifs de contraction) » explique Abraham Loeb, cosmologiste au Centre d’Astrophysique de l’Institut Smithsonian.
Ces perturbations de densité seraient à l’origine des anisotropies et des fluctuations de densité observées aujourd’hui, notamment au sein du fond diffus cosmologique (Planck) et des grandes structures cosmiques (Sloan Digital Sky Survey, VLT, Dragonfly, etc).
L’étude de la dynamique et de la morphologie de ces variations, au moyen des instruments dont disposent actuellement les scientifiques, permettrait donc de déterminer quel scénario a effectivement pris place à l’issue de l’ère de Planck.
De précédentes études suggéraient la possibilité de détecter les perturbations primordiales de densité en cherchant des propriétés non-gaussiennes (corrections modifiant la fonction gaussienne estimant la mesure d’une quantité physique) dans le fond diffus cosmologique. En effet, les fluctuations du CMB sont connues pour êtres approximativement gaussiennes. Mais certains modèles impliquent une certaine dynamique non-gaussienne de ces fluctuations ; la détection de ces signatures non-gaussiennes autoriserait donc une discrimination entre les différents scénarios.
Toutefois, cette méthode pose un certains nombre de problèmes. « Nous prédisons une nouvelle signature dans le spectre de puissance des perturbations primordiales de densité (fréquemment mesurées dans le CMB ou dans les galaxies). Tandis que les études précédentes suggèrent des signatures non-gaussiennes bien plus difficiles à mesurer (sachant qu’elles n’ont encore jamais été détectées). Les résultats que nous présentons arrivent au bon moment car de nouvelles données sont actuellement en train d’être recueillies grâce à de nouvelles observations des anisotropies du CMB et des galaxies » conclut Loeb.