Alors que la télécommunication mondiale repose en grande partie sur les réseaux de câbles sous-marins, ceux-ci sont dangereusement exposés aux catastrophes naturelles comme aux attaques intentionnelles, avertit un chercheur. Leur destruction compromettrait non seulement les communications, mais également l’économie et la sécurité à l’échelle planétaire. L’expert juge urgent de réduire cette dépendance excessive en diversifiant les infrastructures et en recourant à des alternatives moins vulnérables aux risques de rupture.
Assurant 95 % de la transmission de données (communications, expériences vidéo, transactions en ligne, etc.) intercontinentale, les câbles sous-marins constituent l’ossature du réseau numérique mondial. Compte tenu de leur importance stratégique pour l’économie, ils attirent d’importants investissements. Le marché est estimé à 15,3 milliards de dollars en 2024 et devrait atteindre 41,1 milliards de dollars d’ici à 2034, soit un taux de croissance annuel composé de 10 %.
Parmi les projets récents figure notamment le projet Waterworth de Meta, maison mère de Facebook, Instagram et WhatsApp. Avec un investissement de 10 milliards de dollars, il reliera cinq continents et deviendra le plus long câble sous-marin jamais déployé.
« … un cas d’école de piège du progrès »
Ces câbles restent cependant vulnérables à des risques d’origine naturelle comme humaine. En 2022, l’éruption du volcan Hunga Tonga-Hunga Ha’apai a par exemple provoqué un tsunami dont les ondes de choc ont rompu les fibres reliant les Tonga aux Fidji. Cela a plongé l’archipel dans un isolement numérique de plusieurs semaines.
Le séisme de magnitude 9 de Tōhoku, au Japon, en 2011 a également perturbé les communications transpacifiques, tandis qu’en 2006, un tremblement de terre à Taïwan a déclenché des glissements de terrain sous-marins, détruisant les câbles reliant Hong Kong, la Chine, les Philippines et le Japon. L’internet hongkongais s’était trouvé quasi paralysé, avec des répercussions immédiates sur les marchés financiers mondiaux.
À ces catastrophes naturelles s’ajoutent les incidents d’origine humaine : les ancres des navires et les chalutiers endommagent régulièrement ces infrastructures. Plus préoccupant, plusieurs événements récents laissent craindre que les câbles ne deviennent des cibles d’attaques. Dans la mer Rouge, certains câbles ont été sectionnés lors d’actions violentes menées contre des navires de passage, selon des rapports de presse, tandis que la Russie a été soupçonnée d’avoir endommagé un câble dans la Baltique. Un navire chinois aurait aussi été impliqué dans des dommages subis par un autre câble en Europe.
« La dépendance excessive du monde à un réseau de câbles sous-marins uniforme est un cas d’école de piège du progrès », explique, dans un communiqué, Asaf Tzachor, doyen de l’École de développement durable de l’université Reichman. « Si les câbles ont permis une planète connectée, ils représentent également un point d’étranglement fragile pour les communications mondiales », avertit-il. L’itinéraire prévu par Meta pour le projet Waterworth viserait notamment à contourner certaines zones de tension géopolitique, mais le risque ne saurait être totalement écarté.
Un besoin urgent de diversification de l’infrastructure numérique mondiale
Dans un article publié dans la revue Nature Electronics, M. Tzachor propose une feuille de route pour réduire cette dépendance aux câbles sous-marins en diversifiant les infrastructures numériques. Il identifie trois systèmes alternatifs qui, à des stades différents de maturité technologique, pourraient constituer un appui précieux.
« La redondance des câbles ne suffit pas. Nous avons besoin d’une véritable diversification de l’infrastructure numérique mondiale si nous voulons résister aux menaces du XXIe siècle, des géorisques aux conflits géopolitiques », insiste-t-il.
La première alternative repose sur les réseaux de communication laser par satellite. Déjà exploités par des organismes comme la NASA ou des entreprises privées telles que Starlink, ces constellations en orbite basse peuvent, dans de bonnes conditions atmosphériques, offrir des débits comparables à ceux de la fibre optique, tout en échappant aux risques sismiques et géopolitiques.
La seconde alternative, encore en développement, est constituée de systèmes de plateformes utilisant des drones et des dirigeables stationnés dans la stratosphère, alimentés à l’énergie solaire. Ils serviraient de relais de données à faible latence et se révéleraient particulièrement utiles lors de situations d’urgence ou dans les zones mal desservies par les réseaux terrestres.
La troisième approche se situe toujours sous la mer, mais sans fil. Elle reposerait sur des essaims de véhicules robotisés, capables d’émettre des lasers et de former des liaisons optiques à courte portée. Ce type de réseau pourrait soutenir ceux existants et être particulièrement intéressant pour des usages militaires, énergétiques ou de surveillance environnementale.
La mise en place de ces solutions requiert toutefois des actions public-privé coordonnées à grande échelle – un défi considérable. Selon l’expert, les gouvernements devraient accélérer financements, réformes politiques et accords internationaux en ce sens.
Cela inclut non seulement les recherches sur les réseaux alternatifs, mais aussi l’élaboration de normes pour la gestion du trafic orbital, aérien et océanique. Sans règles strictes, le déploiement pourrait s’avérer problématique. Les satellites Starlink, critiqués depuis plusieurs années pour leur impact sur l’espace orbital, illustrent cette nécessité d’un encadrement international plus rigoureux.