Une étude révèle que le réseau cérébral responsable du traitement de la récompense et de l’attention pour les stimuli est 73 % plus étendu chez les personnes souffrant de dépression. Appelé « réseau de saillance », il conserverait la même étendue même en cas d’atténuation des symptômes dépressifs. Cette étendue plus importante a en outre été détectée chez des enfants ayant développé plus tard des symptômes de dépression, suggérant qu’il pourrait s’agir d’un facteur de prédisposition génétique.
La dépression est un trouble neuropsychiatrique épisodique caractérisée par des périodes d’abattement et de mauvaise humeur entrecoupées de manière aléatoire par des épisodes de bien-être. Cependant, notre compréhension des mécanismes régissant la transition entre ces humeurs est considérablement limitée. Cela est principalement dû au fait que la plupart des études consacrées à la maladie s’appuient sur des données transversales, c’est-à-dire collectées à un moment précis. Or, les transitions vers et hors des états dépressifs peuvent s’étendre sur plusieurs mois.
En conséquence, on ne sait pas si les changements détectés dans la connectivité cérébrale des patients sont prédictifs des symptômes dépressifs comme l’anhédonie, ou l’inverse. L’anhédonie est l’incapacité à ressentir du plaisir ou à apprécier les moments agréables. Les précédents travaux ne permettaient pas non plus de déterminer si cette connectivité fluctue parallèlement aux changements d’humeur des personnes dépressives.
Comprendre ces aspects permettrait d’établir de meilleures cibles et stratégies thérapeutiques, ainsi que de développer des techniques de diagnostic précoce en identifiant les personnes à risque. Actuellement, le diagnostic de la dépression se base principalement sur des questionnaires.
Afin de combler ces lacunes, une équipe du Weill Cornell Medicine (à New York) a suivi plusieurs centaines de personnes sur plus d’un an, en utilisant une nouvelle approche d’imagerie cérébrale fonctionnelle analysant de grands ensembles de données. « Nous avons utilisé des outils de cartographie fonctionnelle de précision de pointe pour délimiter la topologie des réseaux cérébraux fonctionnels chez les personnes souffrant de dépression, en exploitant plusieurs ensembles de données d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) au repos d’individus profondément échantillonnés », expliquent-ils dans leur étude, publiée dans la revue Nature.
Une étendue du réseau inchangée, même en cas d’atténuation des symptômes
L’IRMf permet d’étudier les réseaux neuronaux reliant les différentes régions du cerveau et de mesurer les taux d’activité entre ces réseaux. Bien que chez les humains, les réseaux cérébraux soient globalement similaires, des différences subtiles caractérisent chaque individu. Les chercheurs de la nouvelle étude se sont concentrés sur ces différences afin de détecter celles en corrélation avec la dépression. Cependant, les IRMf ne sont que des « instantanées » du cerveau, ce qui limite leur utilisation pour un trouble dynamique et épisodique tel que la dépression. La cartographie fonctionnelle de précision permet en revanche d’analyser de grands ensembles de données d’IRMf, permettant ainsi de mettre en évidence les différences cérébrales entre les individus sains et ceux souffrant de dépression.
Pour effectuer leurs analyses, les chercheurs de la nouvelle étude se sont alors basés sur des ensembles de données d’imagerie de 213 personnes qui ont effectué des IRMf plusieurs dizaines de fois sur plusieurs mois. 141 d’entre elles souffraient de troubles dépressifs majeurs (caractérisés par des symptômes graves et persistants), tandis que les 37 autres étaient en bonne santé mentale.
L’équipe a constaté que les participants souffrant de dépression ont un réseau de saillance 73 % plus étendu que les individus sains. Ce réseau comprend un groupe de régions du cortex frontal et du striatum impliquées dans le traitement des récompenses et dans la détermination des stimuli les plus dignes d’attention. En d’autres termes, il aide le cerveau à décider à quels stimuli environnementaux et émotionnels il doit prêter attention. Il est en outre impliqué dans la conscience de soi et la mémoire de travail.
Les chercheurs ont initialement supposé que l’extension du réseau de saillance est une conséquence des symptômes dépressifs et est peut-être liée aux changements d’humeur des personnes dépressives. Pour tester leur hypothèse, ils ont analysé les IRMf de 932 autres personnes en bonne santé et de 299 personnes souffrant de dépression. Les imageries ont été effectuées presque chaque semaine pendant 18 mois, afin de détecter les changements potentiels en cas de transition d’humeur.
Cependant, la taille du réseau de saillance des patients dépressifs est restée la même pendant toute la durée de l’analyse, quelle que soit leur humeur. Toutefois, l’intensité et la synchronisation de l’activité entre les différentes régions cérébrales ont significativement diminué, lorsqu’ils étaient dans des périodes d’abattement. Les chercheurs ont d’ailleurs pu se baser sur ces changements pour prédire si le patient était susceptible de subir un épisode dépressif la semaine suivante.
Un potentiel facteur de prédisposition à la dépression
En vue de ces résultats, les chercheurs ont déduit qu’un réseau de saillance plus étendu pourrait constituer un facteur de prédisposition à la dépression, plutôt qu’une conséquence de celle-ci. Pour explorer cette hypothèse, ils ont utilisé les données de l’étude ABCD, visant à suivre le développement cérébral de 12 000 enfants de 9 ans jusqu’à l’âge adulte.
Au total, la cohorte incluait 57 enfants qui ne présentaient aucun signe de dépression avant l’âge de 13 ans, mais qui ont commencé à en présenter à partir de l’adolescence. En analysant leurs données d’imagerie cérébrale, les experts ont constaté qu’ils possédaient un réseau de saillance plus étendu que la normale dès l’âge de 9 ans. Cela suggère que la taille des réseaux de saillance pourrait être une caractéristique génétique, ce qui concorderait avec les études ayant précédemment montré que la dépression est en partie héréditaire. Il serait également possible que ce réseau soit surutilisé lors des épisodes dépressifs et se développe de manière accélérée en conséquence.
Toutefois, davantage de recherches sont nécessaires pour déterminer laquelle de ces théories est la bonne et si la taille du réseau de saillance est effectivement un facteur de prédisposition à la maladie. L’équipe prévoit en outre d’étudier si ce facteur peut être lié à d’autres troubles mentaux partageant des symptômes communs avec la dépression, tels que le trouble bipolaire et le trouble obsessionnel compulsif.