L’événement est considéré comme une avancée majeure dans l’étude des documents historiques. Une lettre datée du 31 juillet 1697, scellée par letterlocking — une ancienne méthode de pliage et de découpe qui permet de sécuriser le contenu d’une lettre — a été dépliée numériquement à l’aide d’une technologie à rayons X. Cette prouesse a fait l’objet d’une publication dans la revue Nature communications.
Des techniques de lecture par microtomographie à rayons X avaient déjà été utilisées pour accéder au contenu de documents historiques endommagés. Elles se limitaient toutefois à l’étude de rouleaux ou de feuillets d’un ou deux pli(s) au maximum. Le défi relevé ici consistait à accéder au contenu d’une lettre scellée par letterlocking, qui repose sur un pliage complexe, impliquant plusieurs plis, replis et fentes dans le document.
Les chercheurs de l’Unlocking History Research Group, à l’origine de cet exploit, ont mis au point un algorithme automatique capable de déplier virtuellement un tel document et de produire des images lisibles de son contenu, sans impacter le verrouillage. Il s’agit d’analyser le document tranche par tranche, d’en créer des images 3D, puis d’appliquer des algorithmes d’aplatissement pour accéder au contenu du document inviolable.
Une cryptographie physique élaborée
Avant que les enveloppes ne soient produites en série, dans les années 1830, la plupart des correspondances étaient protégées par letterlocking. Avec cette technique particulière, mêlant pliage et découpe, la lettre devenait sa propre enveloppe. Il était ainsi impossible d’en lire le contenu sans rompre de manière irréversible les scellés mis en place. En étudiant près de 250 000 lettres anciennes, une équipe internationale de chercheurs a pu catégoriser les différentes techniques de verrouillage utilisées à l’époque. Ils ont par la suite entrepris d’analyser le contenu d’une malle de courrier non livré, âgé de 300 ans, appelé « la collection Brienne ».
Dans cette malle se trouvaient plus de 3000 documents, dont 2571 lettres ouvertes (ou autres fragments de documents) et 577 lettres toujours scellées. L’une d’elles, datée du 31 juillet 1697, avait été envoyée par le marchand français Jacques Sennacques, domicilié à Lille, à son cousin Pierre Le Pers à La Haye. Grâce à leur technique d’analyse, les chercheurs ont découvert que Sennacques avait demandé à son cousin une copie certifiée conforme d’un avis de décès d’un certain Daniel Le Pers…
C’est la première fois qu’une lettre non ouverte datant de l’époque de la Renaissance (ou presque) et d’origine européenne est lue sans avoir brisé son sceau. « Nous avons appris que les lettres peuvent être beaucoup plus révélatrices lorsqu’elles ne sont pas ouvertes. Utiliser le déploiement virtuel pour lire une histoire intime qui n’a jamais vu le jour — et n’a même jamais atteint son destinataire — est vraiment extraordinaire » souligne l’équipe. Pour le Dr Daniel Starza Smith, qui a participé à cette étude, avoir l’opportunité d’étudier un paquet de lettres fermé constitue « un matériau historique incroyablement précieux ».
Une technique utilisable sur de nombreux documents
Sans aucune donnée préalable sur le document analysé, l’approche de dépliage virtuel développée par l’Unlocking History Research Group permet d’obtenir une reconstruction en 3D de la lettre pliée, une reconstruction en 2D de son état à plat, l’emplacement des plis et des fentes, jusqu’à remonter aux différentes couches de substrat d’écriture.
La numérisation par microtomographie à rayons X (XMT) produit un ensemble de données volumétriques représentant la densité du matériau dans l’espace 3D ; les encres contenant des éléments comme le fer, le cuivre et le mercure donnent des régions brillantes (de haute densité) dans le scan. La segmentation permet ensuite d’identifier les différentes couches de substrat d’écriture et de les séparer les unes des autres ; l’algorithme génère alors des points caractéristiques à la surface du substrat, qui sont utilisés ultérieurement pour estimer son épaisseur. S’ensuit l’étape de l’aplatissement, qui génère un état déplié du document.
Cette nouvelle technique a permis d’obtenir des reconstructions presque complètes de quatre lettres non ouvertes, protégées par letterlocking. À noter que chacune de ces lettres avait été scellée via une séquence de pliage différente (certaines contiennent des plis intérieurs inclinés en diagonale par rapport à leur silhouette extérieure ; d’autres sont fermées par un verrou de papier indépendant), ce qui démontre la généralité de cette approche.
Cette étude permet par la même occasion de prouver les précédentes théories des chercheurs sur les techniques de verrouillage de lettres « et d’élucider cette forme historiquement vitale, mais longtemps sous-estimée, de cryptographie physique », écrivent-ils dans leur article. Par ailleurs, ils estiment que cette méthode de dépliage virtuel aura un impact « bien au-delà » de la collection Brienne, car de nombreuses collections à travers le monde contiennent des documents non ouverts. Ils évoquent notamment une centaine de documents scellés faisant partie de la correspondance transatlantique des Prize Papers, des documents confisqués par les Britanniques à des navires ennemis entre les 17e et 19e siècles.