Des décennies de recherches comportementales sur le chien (Canis familiaris) ont suggéré que ses comportements d’attachement à l’homme seraient apparus après sa domestication par ce dernier, il y a près de 15 000 ans. Ce phénotype se serait accentué au cours d’une évolution spécifique aux côtés de l’homme. De récentes études semblent cependant contredire cette théorie largement acceptée, et suggèrent que ce phénotype comportemental aurait toujours été présent chez son ancêtre le loup (Canis lupus). Une nouvelle étude parue dans la revue Ecology And Evolution appuie cette hypothèse, en révélant que les loups peuvent fortement s’attacher à leurs soignants. Cet attachement serait même plus profond que celui des chiens. Cette découverte pourrait potentiellement bouleverser notre compréhension de l’évolution de nos chiens, dont la transition domestique depuis son ancêtre serait finalement largement incomprise.
De nombreuses études ont montré que les chiens développent et entretiennent des liens affectifs profonds avec leurs maîtres, un attachement durable notamment basé sur la l’interdépendance affective. La plupart des théories évoquées se basent généralement sur le fait que ce comportement serait apparu avec leur domestication par l’homme et que leurs ancêtres loups seraient restés sauvages. Cette espèce (le loup) est alors victime de préjugés et même dénigrée à travers de nombreuses fables et mythes, selon lesquels elle serait incapable de former un quelconque lien affectif et ne serait qu’un simple animal sauvage uniquement guidé par ses instincts prédateurs.
Pourtant, les loups sont par nature des animaux sociables et font preuve d’une cohésion sociale quasi parfaite au sein d’une meute. Des comportements de soins et d’attachement peuvent d’ailleurs être observés chez les loups d’un même groupe. L’on pourrait alors logiquement suggérer qu’en grandissant aux côtés d’humains, ces animaux peuvent adopter les mêmes comportements, le phénotype de l’attachement étant déjà présent. De plus, il a été observé chez d’autres animaux sauvages, que la proximité avec l’homme peut provoquer chez eux des liens de familiarité.
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« Avec des études antérieures apportant d’importantes contributions à cette question, je pense qu’il est maintenant approprié d’entretenir l’idée que s’il existe une variation du comportement d’attachement dirigé par l’homme chez les loups, ce comportement aurait pu être une cible potentielle pour les pressions sélectives précoces exercées pendant la domestication du chien », explique Christina Hansen Wheat, chercheuse en éthologie à l’Université de Stockholm (en Suède) et auteure principale de la nouvelle étude. « Nous avons estimé qu’il était nécessaire de tester cela de manière approfondie ».
Ces études antérieures ont notamment suggéré que contrairement à la croyance populaire, les loups seraient capables de s’attacher à l’homme, au même titre que le chien. Cependant, les essais réalisés à l’époque n’auraient pas été assez approfondis pour véritablement confirmer cette hypothèse. La nouvelle étude des chercheurs suédois a établi une méthode révélant pour la première fois que l’attachement du loup (élevé dès la naissance par l’homme avec des conditions identiques aux chiens domestiques) serait plus fort encore que celui du chien.
Élèves de la même manière que des chiens
Pour tester leur théorie, les chercheurs suédois ont élevé 10 louveteaux et 12 chiots dès l’âge de 10 jours. Pendant 23 semaines, les animaux ont été élevés exactement de la même manière, avec des soigneurs attitrés qui leur étaient familiers. Ils ont ensuite été soumis aux mêmes tests comportementaux, dont l’un consiste à faire entrer dans leur enclos leurs soigneurs et des personnes qui ne leur sont pas familières — provoquant une situation stressante pour les animaux. Les mêmes expériences chez les nourrissons démontrent en effet qu’un environnement stressant peut stimuler les comportements d’attachement, tels que la recherche de proximité et de soins.
L’objectif principal de ces tests est de voir si les loups, tout comme les chiens, peuvent créer des liens privilégiés avec les personnes qui leur sont familières. Lors des expériences, les louveteaux de 23 semaines ont automatiquement privilégié leurs soigneurs, envers qui ils ont montré d’importants comportements d’attachement. Ce résultat démontre que cette capacité n’a pas spécifiquement évolué chez les chiens.
De plus, les chercheurs ont découvert que les loups étaient plus affectés par la situation de stress que les chiens. « Il était très clair que les loups, comme les chiens, préféraient la personne familière à l’étranger. Mais ce qui était peut-être encore plus intéressant, c’est que si les chiens n’étaient pas particulièrement affectés par la situation de test, les loups l’étaient. Ils arpentaient la salle d’essai », explique Hanser Wheat.
Ces résultats montrent également que les liens d’attachement que les loups développent avec leurs soigneurs sont peut-être même plus profonds que ceux des chiens envers leurs maîtres. Par ailleurs, la présence des soigneurs dans l’enclos des loups agirait comme un tampon, car ces derniers auraient immédiatement cessé d’être stressés en leur présence. « Les loups montrant un attachement dirigé vers l’homme auraient pu avoir un avantage sélectif dans les premiers stades de la domestication des chiens », conclut l’experte.