Quelle est l’origine algorithmique de la vie ? L’origine et le fonctionnement de la vie peuvent-ils être expliqués par le biais de la mécanique quantique ? Existe-t-il des algorithmes quantiques qui pourraient coder la vie elle-même, ou du moins en imiter les aspects fondamentaux ? C’est ce à quoi des chercheurs de l’université du Pays basque ont tenté de répondre, et ils ne se sont pas arrêtés à une simple proposition théorique, mais ont également effectué des essais expérimentaux qui se sont couronnés de succès. En d’autres termes, pour la toute première fois, une forme de vie artificielle quantique a été créée en laboratoire.
Une nouvelle étude réalisée en utilisant un superordinateur quantique de chez IBM a permis de répondre en partie à ces questions profondes, et également d’effectuer des essais expérimentaux nous permettant d’en comprendre davantage quant aux liens existants entre la mécanique quantique et les comportements biologiques orchestrant les fondements de la vie telle que nous la connaissons.
Les comportements de codage liés à l’auto-réplication, à la mutation, aux interactions entre individus, et inévitablement à la mort, ont été utilisés pour créer un nouvel algorithme montrant que les ordinateurs quantiques peuvent effectivement imiter certaines des caractéristiques de la biologie dans le monde réel. Il s’agit bien entendu d’un prototype de validation de concept, mais il ouvre la porte à une compréhension plus profonde de ces aspects. La recherche a été publiée dans le Scientific Reports.
La création d’une vie artificielle au sein d’ordinateurs a déjà fait l’objet de nombreuses expériences, mais les logiciels actuels adoptent généralement une approche newtonienne classique pour la production de ces modèles, se faisant étape par étape, avec des progressions logiques.
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Une molécule artificielle qui imite la vie et la mort
Nous savons désormais que le monde réel, bien qu’il soit compréhensible et explicable par la physique classique dans de nombreux cas, possède également une grande part de mystère, qui relève de la physique quantique. En d’autres termes, notre monde possède une touche « quantique ». En effet, d’étranges phénomènes se produisent à l’échelle atomique et subatomique, et pas que. C’est là que cette nouvelle recherche intervient, en ajoutant cette même imprévisibilité, cette part de « mystère », aux simulations informatiques.
En informatique quantique, les simulations ne sont plus limitées aux simples bits (1 ou 0), mais peuvent introduire une partie du caractère aléatoire que nous voyons dans la vie quotidienne. Cela promet d’ouvrir la voie à un tout un nouveau champ de recherche, prêt à être exploré.
« Le modèle proposé a pour objectif de reproduire les processus caractéristiques de l’évolution darwinienne, adaptés au langage des algorithmes quantiques et de l’informatique quantique », écrivent les chercheurs de l’université du Pays basque à Leioa (Espagne).
À l’aide de l’ordinateur quantique IBM QX4, les chercheurs ont codé des « unités de vie quantiques » composées de deux qubits : l’un pour représenter le génotype (le code génétique transmis d’une génération à l’autre) et l’autre pour le phénotype (manifestation apparente de ce code, ou du « corps » de ces dernières).
Un qubit peut prendre comme valeur 0, 1, ou un état superposé (1 et 0 à la fois). Cet état spécifique aux qubits est dit aussi « enchevêtré ». Le qubit est l’état représentant la plus petite unité de stockage d’information quantique : l’équivalent d’un bit en informatique classique.
Ces unités ont ensuite été programmées pour se reproduire, muter, évoluer et mourir, comme le ferait tout être vivant. Des modifications aléatoires ont été introduites via des rotations de l’état quantique, pour simuler une mutation par exemple.
L’état du phénotype est déterminé par deux facteurs : l’information génétique et l’interaction entre l’individu et son environnement. Cet état, ainsi que les informations qu’il code, sont dégradés pendant la vie de ce dernier.
Auto-réplication, interaction entre individus et avec l’environnement, et durée de vie effective
Le mécanisme d’auto-réplication est basé sur deux événements de clonage quantique partiel, une opération qui enchevêtre le génotype et le phénotype avec un état vide et copie une certaine valeur prévisionnelle du qubit d’origine dans les qubits résultants. Dans cet ensemble d’expériences, l’auto-réplication consiste à dupliquer la valeur prévisionnelle de σz dans le génotype, dans un état vide qui sera transformé en génotype de l’individu dans la génération suivante. Le processus est complété en recopiant σz du nouveau génotype dans un autre état vierge qui sera alors transformé en phénotype du nouvel individu.
Le sous-protocole suivant de l’algorithme est l’interaction entre les individus et l’environnement, qui émule le vieillissement des unités vivantes jusqu’à un état asymptotique qui en représente le décès. Cette évolution est codée dans une dynamique dissipative qui couple un « mélange » avec chacun des qubits de phénotype.
La durée de vie effective dépend implicitement du génotype. Le protocole prend également en compte les mutations, effectuées via des rotations aléatoires d’un seul bit dans les qubits de génotype ou via des erreurs dans le processus d’auto-réplication.
L’ingrédient final est l’interaction entre individus, qui échangent conditionnellement les phénotypes en fonction des génotypes. Ce comportement est obtenu via une opération unitaire de quatre bits, dans laquelle les génotypes et les phénotypes jouent respectivement le rôle de contrôle et de cible. La conjonction de ces composants conduit à un scénario quantique darwinien minimal, mais cohérent. Le protocole peut être enrichi en incluant des informations spatiales, quantiques ou classiques, ou en augmentant la complexité du modèle en considérant un plus grand ensemble d’observables.
Une concordance avec les modèles théoriques précédemment élaborés
La bonne nouvelle est que ces calculs quantiques réels correspondent aux modèles théoriques élaborés par la même équipe en 2015.
Nous sommes encore loin de répondre aux questions les plus profondes concernant la vie et l’univers, et nous ne sommes pas non plus au stade de reproduire réellement une vie artificielle complète à l’intérieur d’un ordinateur quantique, mais les résultats de cette recherche montrent que cela pourrait être possible.
Ces derniers correspondent parfaitement aux résultats de recherches précédentes effectuées par la même équipe l’année dernière, où la sélection naturelle, l’apprentissage et la mémoire étaient imités dans un modèle quantique théorique.
Mais cette fois-ci, leur modèle théorique est devenu expérimental, et a fait ses premiers pas à l’intérieur d’un ordinateur quantique réel. Et comme pour presque tout le reste dans le domaine de la mécanique quantique, les scientifiques en apprennent le plus au fur et à mesure qu’ils expérimentent.
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Cependant, le supercalculateur IBM utilisé dans le cadre de l’expérience ne calcule que partiellement comme un ordinateur quantique complet, car les ordinateurs entièrement quantiques ne sont pas encore suffisamment maîtrisés.
« Nous laissons en suspens la question de savoir si l’origine de la vie est vraiment liée à la mécanique quantique », expliquent les chercheurs. « Ce que nous prouvons ici par contre, c’est que les systèmes quantiques microscopiques peuvent coder efficacement les caractéristiques quantiques et les comportements biologiques, généralement associés aux systèmes vivants et à la sélection naturelle ».
Les expériences présentées par les chercheurs impliquent la validation de la vie artificielle quantique en laboratoire et, en particulier, dans des ordinateurs quantiques en système cloud.
Une autre étape intéressante consistera au développement de dispositifs quantiques autonomes. Les entités quantiques créées ici sont guidées par un effort d’adaptation qui s’inscrit dans une évolution darwinienne quantique. Ces dernières sont capables de transférer efficacement l’information quantique à travers des générations d’états multiqubit enchevêtrés plus vastes.
Les chercheurs estiment que les résultats et les prévisions évolutives du système présenté, à la fois au niveau théorique et expérimental, montrent que cet axe de recherche innovant est sur le point de devenir l’un des éléments clés pour les futures technologies quantiques.