Le cosmos recèle d’objets fascinants et d’événements si puissants qu’il est parfois difficile d’en percevoir l’ampleur. Les objets extrêmement massifs que sont les trous noirs, sans oublier les étoiles à neutrons — de petites étoiles massives au champ magnétique intense, sont parmi les plus mystérieux et étudiés. Lorsque ces derniers entrent en contact et fusionnent, le choc gravitationnel est si intense que le tissu de l’espace-temps en est déformé à une fréquence régulière. Ces « ondulations » sont appelées « ondes gravitationnelles ». Une équipe de chercheurs internationale vient de dévoiler, dans une nouvelle étude non revue par des pairs, la plus grande série de détection d’ondes gravitationnelles jamais rapportée.
Les ondes gravitationnelles sont détectables par des instruments terrestres spécialement conçus, dont LIGO et VIRGO. Leur étude est cruciale pour mieux comprendre les objets qui en sont à l’origine et de ce fait, obtenir des indices clés concernant les éléments constitutifs de la matière et le fonctionnement même de l’espace-temps.
Une équipe de recherche internationale incluant des astronomes de l’Australian National University (ANU) fait part d’une nouvelle étude présentant la détection de 35 nouvelles ondes gravitationnelles en moins de cinq mois — de novembre 2019 à mars 2020. Elles auraient été causées par des collisions/fusions de trous noirs exclusivement ou de combinaisons trous-noirs-étoiles à neutrons. Les résultats ont été publiés aujourd’hui sur le serveur de préimpression arXiv.
Selon le document d’étude, toutes les détections ont été faites avec les observatoires LIGO et Virgo. Tous deux permettent la détection d’ondes gravitationnelles par l’interférométrie laser. Ces instruments consistent en de longs tunnels (de plusieurs kilomètres de long) perpendiculaires et dans lesquels sont placés plusieurs jeux de miroirs. Un faisceau laser (précisément divisé en deux par un « splitter ») parcourt le système depuis le centre et le temps du trajet d’aller-retour est mesuré par un système de capteurs.
Ainsi, la détection d’une différence de temps de trajet (et donc de longueur calculée) par le faisceau lumineux entre un bras et l’autre permet de suggérer une éventuelle perturbation gravitationnelle. Il est possible de conclure qu’il s’agit véritablement d’une onde gravitationnelle en analysant le type de perturbation enregistrée, notamment si elle correspond au modèle (amplitude, fréquence, etc.) d’oscillation régulier d’une onde gravitationnelle.
32 fusions de trous noirs !
Et si les données sont suffisamment bonnes, il est également possible d’estimer l’origine probable des ondes gravitationnelles. Selon les chercheurs, les nouvelles détections proviennent d’événements cosmiques massifs, pour la plupart situés à des milliards d’années-lumière. Les calculs suggèrent 32 fusions de trous noirs et trois collisions d’étoiles à neutrons avec des trous noirs.
La professeure Susan Scott, du Centre d’astrophysique gravitationnelle de l’ANU, a déclaré dans un communiqué que ces dernières découvertes représentaient « un tsunami » et constituaient « un grand pas en avant dans notre quête pour percer les secrets de l’évolution de l’Univers ».
Après avoir identifié les signaux candidats, les chercheurs ont effectué une analyse cohérente des données du réseau de détecteurs d’ondes gravitationnelles pour déduire les propriétés de chaque source. Les informations sur les paramètres de la source sont encodées dans l’amplitude et la phase du signal enregistré par chaque détecteur du réseau. Pour extraire cette information, les scientifiques font correspondre des modèles de formes d’onde aux données observées, afin de calculer la probabilité postérieure d’un ensemble donné de paramètres.
« Ces découvertes représentent une multiplication par dix du nombre d’ondes gravitationnelles détectées par LIGO et Virgo depuis le début de leurs observations », a déclaré Scott. « Nous avons détecté 35 événements. C’est énorme ! En revanche, nous avons fait trois détections lors de notre première série d’observations, qui a duré quatre mois en 2015-16 ».
Comment les chercheurs estiment-ils le type de source du signal ?
Les chercheurs expliquent dans leur document que les modèles de forme d’onde utilisés pour analyser chaque événement détecté sont sélectionnés en fonction de la source la plus probable du signal (selon un catalogue prédéfini donc). Chaque candidat est soumis à une analyse initiale de « paramétrisation », peu de temps après avoir été identifié.
Cette analyse est ensuite utilisée pour déduire approximativement les masses des composants (et d’autres propriétés) de la paire d’objets cosmiques responsable du signal candidat, qui sont utilisées pour vérifier les paramètres d’analyse. Une autre série d’analyses de paramétrisation, plus exhaustive, est menée pour produire les résultats finaux, permettant ainsi d’estimer s’il s’agit d’un trou noir ou d’une étoile à neutrons par exemple.
« Une nouvelle ère pour la détection d’ondes gravitationnelles »
« Les candidats détectés durant la dernière campagne d’observation présentent une diversité dans les propriétés de leurs sources. Beaucoup sont similaires aux observations précédentes, mais certaines montrent des caractéristiques inhabituelles », écrivent les chercheurs dans leur document.
Les données ont permis d’obtenir une fourchette pour les masses des trous noirs à l’origine des ondes gravitationnelles, le plus massif faisant environ 87 fois la masse du Soleil. Ce dernier aurait fusionné avec un compagnon de 61 masses solaires. Le trou noir résultant porte désormais le nom de GW200220_061928, et ferait 141 masses solaires — et non 148, la masse perdue étant convertie principalement en ondes gravitationnelles. Il s’agirait donc d’un trou noir de masse intermédiaire (masse comprise entre cent et environ un million de masses solaires), dont la détection « directe » est très rare.
« C’est vraiment une nouvelle ère pour les détections d’ondes gravitationnelles, et la population croissante de découvertes révèle tellement d’informations sur la vie et la mort des étoiles à travers l’Univers. L’observation des masses et des rotations des trous noirs dans ces systèmes binaires indique comment ces systèmes se sont assemblés », ajoute Scott, qui est également chercheuse principale du Centre d’excellence ARC pour la découverte d’ondes gravitationnelles (OzGrav). « Cela soulève également des questions vraiment fascinantes. Par exemple, le système s’est-il formé à l’origine avec deux étoiles qui ont traversé ensemble leur cycle de vie et sont finalement devenues des trous noirs ? Ou bien les deux trous noirs ont-ils été poussés ensemble dans un environnement dynamique très dense, comme au centre d’une galaxie ? ».
L’amélioration continue de la sensibilité des détecteurs d’ondes gravitationnelles contribue à l’augmentation du nombre de détections, explique Scott. « Cette nouvelle technologie nous permet d’observer plus d’ondes gravitationnelles que jamais auparavant », précise-t-elle. « Nous sondons également les deux régions où il y a un écart de masse entre les trous noirs, ce qui nous permet de tester davantage la théorie de la relativité générale d’Einstein ».
« L’autre aspect vraiment passionnant de l’amélioration constante de la sensibilité des détecteurs d’ondes gravitationnelles est que cela va ensuite mettre en jeu toute une nouvelle gamme de sources d’ondes gravitationnelles, dont certaines seront inattendues », conclut-elle. Ces nouvelles observations, si elles sont validées par la communauté de chercheurs du domaine, constitueront certainement un pas supplémentaire vers une meilleure compréhension de l’évolution des étoiles et, par conséquent, de notre univers.