Cela fait plus de 50 ans que les scientifiques soupçonnent qu’une infection à entérovirus pourrait déclencher le diabète de type 1. Cette hypothèse a été soutenue par les conclusions d’une revue systématique sur le sujet, publiée en 2011 et basée sur des techniques d’analyse modernes. À l’aide de techniques encore plus avancées, la même équipe de recherche a menée une nouvelle étude, présentée lors de la réunion annuelle de l’Association européenne pour l’étude du diabète. Elle confirme le lien entre l’infection à entérovirus et le diabète de type 1.
On pense que le diabète de type 1 (DT1) résulte d’une interaction complexe entre la prédisposition génétique, le système immunitaire et les facteurs environnementaux. Au cours des dernières décennies, il y a eu une augmentation rapide de l’incidence du DT1 infantile dans le monde, en particulier chez les moins de 5 ans. Des études épidémiologiques ont révélé que la maladie affichait un schéma saisonnier, avec une augmentation de son incidence après chaque épidémie d’entérovirus. Le lien entre les deux était dès lors quasiment indéniable, bien qu’il ait longtemps été débattu.
Les entérovirus sont des virus courants, responsables de nombreuses maladies humaines (poliomyélite, syndrome pieds-mains-bouche, angine, maladies respiratoires, méningite, cardiopathies, diarrhées, etc.). En 2011, des chercheurs ont réalisé une revue systématique d’études contrôlées (24 articles et deux résumés, englobant près de 4450 participants au total) qui ont utilisé des méthodes virologiques moléculaires pour étudier l’association entre les entérovirus et le DT1. Ils ont conclu à l’époque qu’il existait bien « une association cliniquement significative » entre les deux. Ils ont récemment mis à jour leurs recherches en incluant davantage de données.
Des vaccins pour réduire l’incidence du diabète
Chez les personnes atteintes du DT1, le système immunitaire attaque et détruit les cellules bêta productrices d’insuline dans le pancréas — ce qui empêche l’organisme de produire suffisamment d’hormone pour réguler correctement la glycémie. Au fil du temps, une glycémie élevée peut endommager le cœur, les yeux, les pieds et les reins et réduire l’espérance de vie. L’hyperglycémie peut également entraîner une acidocétose diabétique — une acidité excessive du sang causée par l’accumulation de corps cétoniques, qui sont toxiques pour l’organisme. L’acidocétose diabétique est une urgence médicale.
Depuis des décennies, les scientifiques tentent de déterminer ce qui pousse le système immunitaire à lancer son attaque. De nombreuses preuves désignent une infection virale et en particulier, une infection à entérovirus. Certaines équipes sont ainsi en train de développer des vaccins visant à prévenir ces infections pour réduire l’incidence du diabète — un vaccin candidat contre le virus coxsackie B est par exemple en cours d’essai clinique. Confirmer avec certitude le rôle des entérovirus dans le développement du DT1 permettrait de soutenir ces recherches.
Sonia Isaacs, du Département de pédiatrie et de santé infantile de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud et ses collègues ont donc effectué une nouvelle revue systématique et une méta-analyse des recherches existantes sur le sujet. Cette méta-analyse comprenait les données de quelque 12 000 participants (âgés de 0 à 87 ans) provenant de 60 études observationnelles contrôlées, tirées des bases de données PubMed et Embase. C’est la méta-analyse la plus vaste menée sur le sujet.
Près de la moitié des participants (5981) avaient un DT1 ou ce que l’on appelle une auto-immunité des îlots (sous-entendu des îlots de Langerhans, qui contiennent les cellules endocrines du pancréas) — une condition qui évolue généralement vers le DT1. Une infection virale en cours ou récente étaient détectables via la présence d’ARN ou de protéine d’entérovirus dans les échantillons de sang, de selles ou de tissus.
Une risque d’infection huit fois plus élevé en cas de diabète
Les chercheurs ont remarqué que les personnes atteintes d’auto-immunité des îlots de Langerhans avaient deux fois plus de risque d’être testées positives aux entérovirus que les participants en bonne santé. En outre, les personnes atteintes de DT1 étaient huit fois plus susceptibles d’avoir des traces d’une infection à entérovirus. Mais cette méta-analyse a surtout permis de mettre en évidence le fait que les personnes diabétiques étaient 16 fois plus susceptibles que les autres de présenter des signes d’infection à entérovirus au cours du mois suivant le diagnostic du diabète.
En conséquence, il existe une association claire entre l’infection à entérovirus et l’auto-immunité des îlots de Langerhans ou le DT1. Reste à déterminer comment ce type d’infection virale peut augmenter le risque de diabète. Une explication pourrait se trouver du côté des gènes : « Notre étude a révélé que les personnes atteintes de DT1 qui présentaient à la fois un risque génétique et un parent au premier degré atteint de DT1 étaient 29 fois plus susceptibles d’avoir une infection à entérovirus », souligne Sonia Isaacs dans un communiqué.
La scientifique pense que le nombre, le moment, la durée et même le site des infections à entérovirus peuvent également être importants. En effet, certains entérovirus touchent les voies digestives (et sont à l’origine de la grippe intestinale, entre autres) ; ces virus pourraient se déplacer jusqu’au pancréas, via les cellules immunitaires, où ils pourraient entraîner une infection persistante et une inflammation déclenchant la réponse auto-immune. Mais d’autres facteurs pourraient également entrer en jeu (l’alimentation, les déséquilibres du microbiome, l’exposition à des substances chimiques in utero ou pendant la petite enfance, etc.). Des recherches supplémentaires sont donc nécessaires pour saisir pleinement les mécanismes mis en œuvre.
Si une infection à entérovirus joue effectivement un rôle clé dans le déclenchement de la maladie chez les personnes prédisposées au DT1, la prévention de ces infections pourrait entraîner une réduction substantielle du nombre de nouveaux cas.